La suppression de la limitation des mandats successifs au CSE, entre continuité et renouvellement du dialogue social

Par Fabrice AllegoetLe 30 octobre 2025
La suppression de la limitation des mandats successifs au CSE, entre continuité et renouvellement du dialogue social

 

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Une page se tourne dans l’histoire récente du dialogue social français. Les partenaires sociaux viennent de s’accorder sur l’abrogation de l’une des mesures phares des ordonnances du 22 septembre 2017, qui limitait à trois le nombre de mandats successifs qu’un élu du comité social et économique pouvait exercer, conformément à l’ancien article L2314-33 du Code du travail.

Cette disposition, conçue à l'origine pour insuffler un vent de renouveau dans les instances représentatives du personnel et encourager l'émergence de nouvelles générations de représentants, avait cristallisé les tensions entre organisations patronales et syndicales.

Les premières y voyaient une opportunité de dynamisation du dialogue social, tandis que les secondes dénonçaient une atteinte supplémentaire à l’exercice de la représentation collective, dans un contexte déjà marqué par la fusion des anciennes instances (comité d’entreprise, CHSCT et délégués du personnel) au sein du CSE.

Il convient de rappeler que le dispositif avait déjà connu des aménagements substantiels depuis sa mise en œuvre.

Les entreprises comptant moins de cinquante salariés avaient été exonérées de cette limitation, tandis que celles employant entre cinquante et deux cent quatre-vingt-dix-neuf salariés pouvaient y déroger par accord collectif. Seules demeuraient concernées, in fine, les entreprises de plus de trois cents salariés. C’est précisément ce dernier verrou que la loi n° 2025-989 du 24 octobre 2025, en son article 8, vient de faire sauter.

Les ressorts d’un revirement législatif

Le revirement opéré par les pouvoirs publics mérite que l’on s’y attarde. Alors que la limitation des mandats était présentée, il y a huit ans, comme un levier essentiel de modernisation du dialogue social, le législateur invoque aujourd’hui le risque « d’affaiblissement de la représentation des salariés » et de « limitation de la transmission des compétences ».

L'ironie de cette volte-face n'échappera à personne, les arguments mobilisés aujourd'hui pour justifier la suppression de la mesure étant précisément ceux qui avaient été écartés lors de son introduction.

Le législateur justifie désormais ce changement de cap par la nécessité de « préserver l’expérience et les compétences acquises » dans une perspective « d’amélioration du dialogue social ». Une étude d’impact, opportunément produite, vient étayer cette nouvelle orientation en présentant la limitation des mandats comme un frein au bon fonctionnement des instances représentatives. On ne peut s’empêcher d’y voir une forme de pragmatisme tardif, reconnaissant implicitement l’échec de la stratégie initiale de renouvellement forcé.

Une réforme à l’efficacité discutable

Cette question mérite d’être posée sans détour.

Question

Cette évolution législative constitue-t-elle véritablement une avancée pour le dialogue social ?

La prudence s’impose dans l’analyse. Le diagnostic du malaise qui affecte les CSE est connu. Une crise des vocations qui menace la vitalité même de la représentation du personnel. Force est de constater que de nombreux salariés se détournent de ces fonctions représentatives, peu enclins à prendre le relais de leurs prédécesseurs.

Si l’objectif initial de la limitation des mandats visait à stimuler ce renouvellement, le bilan, après huit années d’application, s’avère pour le moins mitigé.

Peut-on pour autant imputer cet échec à la seule limitation des mandats ? L’observation des entreprises de moins de cinquante salariés, où le nombre de mandats demeure illimité, révèle que l’absence de restriction n’a nullement enrayé le désintérêt pour les fonctions représentatives. De même, nombreuses sont les entreprises de taille intermédiaire qui, ayant négocié la levée de cette limitation par accord collectif, n’ont constaté aucun regain d’attractivité de leurs instances. Le constat s’impose avec évidence. Le système semble verrouillé de l’intérieur, et aucune disposition législative ne paraît suffisamment puissante pour briser cette dynamique d’essoufflement.

Le risque de sclérose institutionnelle

L’une des conséquences prévisibles de cette réforme réside dans ce que l’on pourrait qualifier de « fossilisation » du système représentatif. En l’absence de limitation temporelle, il est à craindre que certains élus ne s’installent durablement dans leurs fonctions, transformant le mandat représentatif en quasi-sinécure. Les défenseurs de cette évolution mettent en avant les bénéfices d’une stabilité accrue avec des interlocuteurs expérimentés, maîtrisant les arcanes du Code du travail et les subtilités de la prévention des risques professionnels. Ces élus aguerris, forts de leur connaissance approfondie des mécanismes de négociation collective et des procédures de consultation, constitueraient des partenaires de dialogue social particulièrement efficaces.

L'argument, présenté ainsi, ne manque pas de séduction.

Néanmoins, la réalité du terrain offre un tableau plus contrasté. L’ancienneté dans la fonction ne garantit nullement la compétence, et il n’est pas rare de rencontrer des élus qui, après une décennie d’exercice, demeurent insuffisamment formés et peu au fait de leurs prérogatives. Le risque est donc réel de voir se pérenniser des situations où les salariés sont représentés par des élus certes présents dans la durée, mais dont l’expertise demeure lacunaire et l’engagement émoussé par les années. Cette cristallisation des positions rappelle la situation antérieure à la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale, lorsque les délégués syndicaux étaient nommés sans limitation de durée. Le système, replié sur lui-même, peinait alors à se renouveler et souffrait d’un déficit manifeste de modernité. La réforme de la représentativité syndicale avait précisément permis de briser ce carcan en introduisant une logique de légitimation périodique par le suffrage.

Les véritables enjeux de la revitalisation de la démocratie sociale

Au-delà du débat sur la limitation des mandats, c’est la question fondamentale du renouvellement de la démocratie sociale qui se pose. La représentation du personnel ne peut se concevoir en 2025 selon les mêmes paradigmes qu’en 1982. Les attentes des salariés, leurs modes de mobilisation, leurs rapports au collectif ont profondément évolué. Il convient donc de veiller à ce que la suppression de la limitation des mandats ne se traduise pas par une confiscation du pouvoir représentatif au profit d’une minorité installée.

L’impératif de valorisation de la fonction représentative

La question capitale demeure celle de savoir comment susciter l’engagement des salariés dans les fonctions représentatives. La réponse réside dans la valorisation concrète de ces missions. Un CSE dynamique, dont les membres communiquent régulièrement sur leurs actions et leurs résultats, constitue le meilleur ambassadeur de la représentation du personnel. À l’inverse, une instance atone, dont les élus brillent par leur absence ou leur passivité, ne peut qu’alimenter le désintérêt général.

Les leviers de mobilisation des nouvelles générations

La mobilisation de nouvelles vocations requiert une approche stratégique et proactive. Il s’agit d’abord de démystifier la fonction d’élu, en mettant en lumière son impact concret sur l’amélioration des conditions de travail et le développement professionnel qu’elle permet. Les garanties statutaires attachées au mandat – protection contre le licenciement, accès à la formation, crédit d’heures – doivent être mieux connues et valorisées. Par ailleurs, l’ouverture à la diversité des profils et l’inscription de l’expérience représentative dans les parcours professionnels constituent des leviers essentiels.

Les entreprises ont tout intérêt à reconnaître les compétences acquises dans l’exercice d’un mandat – négociation, gestion de projet, connaissance du droit social – comme des atouts pour l’évolution professionnelle de leurs collaborateurs.

Pour un renouvellement maîtrisé des instances

La suppression de la limitation des mandats ne doit pas faire oublier l’importance du renouvellement générationnel. Contrairement aux idées reçues, la réélection n’est jamais acquise d’avance. Les élus sortants doivent démontrer la valeur ajoutée de leur expérience face à de nouveaux candidats prompts à souligner les insuffisances du mandat écoulé. L’équilibre optimal réside probablement dans un savant dosage entre continuité et renouvellement. Un CSE efficient combine idéalement l’expertise d’élus confirmés, garants de la mémoire institutionnelle et de la maîtrise des dossiers complexes, et l’énergie de nouveaux représentants, porteurs d’idées neuves et d’approches innovantes. Cette complémentarité constitue la clé d’un dialogue social vivant et constructif.

Pour l'employeur lui-même, cette stabilité relative présente des avantages non négligeables, notamment la possibilité de construire un dialogue social mature avec des interlocuteurs maîtrisant les enjeux de l'entreprise et capables d'appréhender la complexité des problématiques socio-économiques, sans toutefois renoncer au modernisme institutionnel.

Une réforme symptomatique des défis contemporains

La suppression de la limitation des mandats successifs au CSE ne saurait être analysée isolément. Elle s’inscrit dans un contexte plus large de questionnement sur l’efficacité et la légitimité de la représentation du personnel dans l’entreprise moderne. Si l’on peut légitimement s’interroger sur l’opportunité de ce revirement législatif, force est de reconnaître qu’il ne constitue ni la panacée espérée par ses promoteurs, ni la catastrophe annoncée par ses détracteurs. Une donnée mérite d’être soulignée. Dans un contexte de mobilité professionnelle accrue, combien de salariés peuvent-ils aujourd’hui envisager de demeurer quatorze années au sein de la même entreprise ? Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Prenons l’exemple concret d’un salarié ayant deux années d’ancienneté qui se porterait candidat aux élections. S’il devait exercer plus de trois mandats successifs de quatre ans, cela supposerait une présence d’au moins quatorze années au sein de la même entreprise.

Cette réalité sociologique relativise considérablement la portée pratique de la réforme.

En définitive, si la suppression de la limitation des mandats lève un obstacle psychologique et réglementaire, elle ne saurait à elle seule résoudre la crise profonde qui affecte la représentation du personnel. Le véritable défi demeure de redonner du sens et de l’attractivité à l’engagement représentatif, dans un monde du travail en profonde mutation. C’est à cette condition seulement que le dialogue social pourra retrouver la vitalité nécessaire à l’accomplissement de sa mission essentielle, à savoir la construction d’un équilibre dynamique entre les impératifs économiques de l’entreprise et les aspirations légitimes des salariés.

Auteur de l'article: Fabrice Allegoet

Fabrice ALLEGOET est un formateur confirmé et certifié en droit social qui s'est spécialisé dans différentes matières (santé et sécurité au travail, RSE et développement durable, management et communication en entreprise). Il est l'animateur des Podcasts "Le CSE En Clair" et "Le Droit de Savoir by CÉOS".