Dialogue social : la rupture est en marche

Par Fabrice AllegoetLe 13 octobre 2015

La loi relative au dialogue social et à l’emploi dénommée « loi Rebsamen » ne fait pas que des émules.  À l’heure des règlements de compte, des empoignades à l’image du drame qui s’est passé chez « Air France », des revendications sociales en faveur du plein emploi et du pouvoir d’achat des salariés, nous en oublierions presque les reculs contenus dans cette loi.

Quel est le constat s’agissant des représentants du personnel ? Moins de réunions, plus de confusions avec une DUP élargie, moins de temps et plus de travail, des consultations complexifiées, des entreprises privées de commissions….

Bref, à force de rechercher la simplification, on aboutit à la désintégration de ce qui constituait un socle chèrement acquis depuis les lois AUROUX de 1982.

17 consultations CE resserrées autour de 3 grands rendez-vous

Les énarques, les grands-pensants seraient bien avisés de savoir comment fonctionne de nos jours la plupart des comités d’entreprise ; ils auraient pu constater aisément, la difficulté qu’incarne la mission de consultation tant la tâche est difficile et l’environnement complexe.

Une consultation bien menée exige un travail de fond au préalable et de fait, du temps pour le réaliser ainsi que des connaissances qui ne sont pas toujours innées chez les représentants du personnel.

Ajouté au temps de travail préliminaire à toutes consultations, le temps de formation qui s’impose souvent. Il convient aussi de rappeler que les représentants du personnel sont régulièrement dans un bon nombre d’entreprises, entravés par des employeurs qui fuient toute collaboration et ne respectent aucunement le cadre législatif. Les décisions sont prises avant qu’une réelle concertation n’ait été menée de droit !

Désormais, les consultations parmi lesquelles, de très importantes comme le plan de formation, les prérogatives en matière d’égalité professionnelle, ou encore le bilan social, vont être au 1er janvier 2016 amalgamées à l’intérieur de 3 grands chapitres consultatifs (article L2323-6 du code du travail) :

1° Les orientations stratégiques de l’entreprise ;
2° La situation économique et financière de l’entreprise ;
3° La politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi.

Citons en exemple, l’article L2323-15 du code travail qui illustre parfaitement cette reculade législative en nous proposant dorénavant, une consultation à l’allure d’un véritable fourre-tout… Il sera très important d’organiser cette consultation en particulier (politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi) en la chapitrant de manière précise et organisée de sorte à ce que le débat soit lisible et pour qu’il se traduise par une réelle exploration de toutes les composantes prévues à cette consultation.

Les entreprises de moins de 300 salariés, les premières victimes

Disparues les commissions obligatoires sur la formation (article L2325-26 du code du travail) et l’égalité professionnelle (article L2325-34 du code du travail) à partir de 200 salariés, supprimées les réunions mensuelles dans les entreprises qui optent pour une délégation unique du personnel (article L2326-5 du code du travail) ainsi que pour les entreprises de moins de 300 salariés (article L2325-14 du code du travail) … La loi relative au dialogue social recherchait la simplification ? Elle aboutira au désordre, à une saignée du débat et au lynchage des droits des salariés.

Pourquoi ? Essentiellement à cause du manque de moyens traduits par ces choix réducteurs et inutiles. Une entreprise de 250 salariés a-t-elle moins de besoins qu’une entreprise de 301 salariés ?

Le comité d’entreprise (ou la nouvelle délégation unique du personnel) sera-t-il sincèrement en mesure d’honorer l’ensemble de ses missions à l’occasion des 6 réunions annuelles au lieu des 12 d’avant la loi ? L’absence de commissions obligatoires implique moins de moyens opérationnels pour constater les bienfaits ou les carences par exemple du plan de formation et pour réfléchir à de sérieuses propositions sur lesquelles, une fois avisé, le comité d’entreprise pouvait s’appuyer pour préparer sa consultation qui était elle-même distincte à toutes les autres….

Les habitudes portant sur les informations trimestrielles seront également bouleversées ; exceptées pour les entreprises comptant au moins 300 salariés, les comités d’entreprise ne disposeront plus comme cela est encore pour quelques mois le cas, des informations en rapport notamment avec l’évolution générale des commandes (article L2323-60 du code du travail).

On ne comprend pas bien l’intérêt et l’avancée sociale que cela augure ?

Certes, la consultation sur les orientations stratégiques permettra de dresser un bilan tant historique que prévisionnel des enjeux financiers attenants à l’entreprise, mais le rendez-vous trimestriel parfois mensualisé dans certaines entreprises, conférait un droit de regard plus appuyé car plus régulier.

Le constat est sans appel : alors que les entreprises de moins de 300 salariés représentent un nombre important d’unités de production en France, les représentants du personnel vont perdre en efficacité du fait d’un recul manifeste de leurs moyens et de leur implication.

Le dialogue social réforme l’avis du CE (négociation collective)

Le comité d’entreprise n’aura plus son mot à dire s’agissant des accords collectifs (accords d’entreprise). En effet, la loi a prévu la suppression de l’obligation de consultation du CE en matière tant de mise en place que de révision et de dénonciation de tels accords à compter du 1er janvier 2016, c’est-à-dire, demain (article L2323-2 du code du travail).

Le délit d’entrave perd de sa substance dissuasive

L’employeur est depuis cet été 2015, rassuré avec la réécriture de cette disposition consacrée au délit d’entrave. Depuis la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques – LSE (Loi Macron), les entraves régulières et portant principalement sur le devoir de consultation du comité d’entreprise ne seront plus punies d’un an d’emprisonnement comme cela pouvait être le cas auparavant ; maigre consolation, l’amende autrefois de 3750 € qui intervenait en sus est portée à 7500 € (article L2328-1 du code du travail).

Les employeurs ne craindront plus les mises en garde du comité d’entreprise lorsqu’il ne se soumettra plus à ses obligations légales ; les entraves risquent de naître là où elles étaient encore contenues et vont certainement atteindre des records là où le fait était coutumier.

Le caractère pénal est amoindri et perd donc tant de sa substance que de son caractère dissuasif. Cette aberration impacte également les délégués du personnel (article L2316-1 du code du travail) et le CHSCT (article L4742-1 du code du travail). Il se dirait que cela permettrait aux investisseurs notamment étrangers de créer des entreprises en France (et donc des emplois) car les futurs employeurs seront moins exposés pénalement.

L’impunité était déjà en marche, elle se confirme depuis la loi LSE, emportant avec elle, le courage des élus, qui faute de pouvoir mener à bien leurs missions, finissent par lâcher prise.

Les salariés en seront pour leurs frais et ne pourront compter que sur leur détermination.

Auteur de l'article: Fabrice Allegoet

Fabrice ALLEGOET est un formateur confirmé et certifié en droit social qui s'est spécialisé dans différentes matières (santé et sécurité au travail, RSE et développement durable, management et communication en entreprise). Il est l'animateur des Podcasts "Le CSE En Clair" et "Le Droit de Savoir by CÉOS".