La rupture conventionnelle collective

Par Philippe Lesueur-PicotLe 28 décembre 2017

Qu’on se le dise, la rupture conventionnelle collective est une mesure phare des ordonnances Macron. Peut-être pas dans le bon sens selon les divers points de vue qui s’opposent ; celui des salariés versus celui des employeurs. Le législateur en est convaincu, cette pépite inscrite désormais dans le Code du travail doit tout comme l’arsenal des autres mesures de ce quinquennat, relancer l’emploi, la confiance et la croissance.

Nous ne demandons qu’à y croire, même si je ne perdrai personnellement pas mon temps à aller mettre un cierge à l’église de Notre Dame de Confiance.

Abordons donc cette nouvelle trouvaille législative afin de décortiquer les obligations et la procédure inhérente à la rupture conventionnelle collective.

La rupture conventionnelle collective, une nouveauté ?

Le législateur veut véritablement distinguer ce qui relève d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) à ce qui trait à la rupture conventionnelle collective. Ainsi, le recours à ce dispositif ne peut pas se justifier par des problèmes économiques rencontrés par l’entreprise. Le but étant sans nul doute d’éviter toute ruse juridique pour contourner les mesures attenantes aux plans de licenciement.

Question

Mais qu’est-ce qui peut pousser une entreprise à recourir à la rupture conventionnelle collective si elle n’est pas en proie à des difficultés économiques ?

Certains disent que cela peut se justifier par une nécessité de réorganiser l’emploi selon les priorités que se fixe l’entreprise au regard de l’évolution tant de son marché que de ses capacités. Les emplois seraient victimes de sinistrose aiguë. Certes, mais ne serait-ce donc pas pour des raisons économiques, tout ce raffut autour de la rupture conventionnelle collective ?

À y regarder de plus près, cette mesure pas si nouvelle que ça en réalité, est une cousine proche du plan de départs volontaires autonomes.

Toutefois dans ce cas précis, le motif du recours est précisément motivé pour des nécessités économiques (Cass. Soc. 29 octobre 2010 n°09-15.187). La finalité est toutefois la même ; les départs sont encouragés sur la base du volontariat afin de supprimer massivement des emplois sensibles ou sinistrés. Étant donné que les deux process vont coexister, il fallait nettement se détacher de l’original afin de crédibiliser ce qui apparaît comme une nouveauté déguisée.

Comment recourir à la rupture conventionnelle collective ?

La rupture conventionnelle collective peut être activée uniquement après la conclusion d’un accord d’entreprise excluant tout licenciement (article L1237-19 du Code du travail). Notons que ledit accord sera obligatoirement majoritaire à compter du 1er mai 2018 (article 40 de l’Ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017). L’employeur devra en outre concomitamment en aviser l’autorité administrative (DIRECCTE) ; cette dernière est en effet étroitement liée à la mesure durant l’ensemble du processus (enclenchement, validation, suivi).

L’accord d’entreprise devra prévoir un contenu assez précis du projet comme le nombre maximal de départs visés, le nombre d’emplois détruits par la même occasion, la durée du projet lui-même, les conditions que devront remplir les salariés pour en bénéficier, les modalités d’information du comité social et économique (CSE), le niveau des indemnités versées au moment du départ, etc. (article L1237-19-1 du Code du travail).

Le CSE ne sera pas consulté sur le projet d’accord d’entreprise tenant à la rupture conventionnelle collective.

En revanche, le suivi portant sur l’application du projet relève de la consultation du CSE ; les avis des élus devront être transmis par ailleurs à la DIRECCTE. Cette dernière devra en outre recevoir de l’employeur, un bilan détaillé quant à la mise en œuvre du projet (article L1237-19-7 du Code du travail). Sans doute que le CSE aurait été plus avisé de rendre un avis sur le projet lui-même, mais voilà, depuis 2015, le CE (et donc le CSE à terme) n’est plus en droit de l’exiger (article L2323-2 du Code du travail). La loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, appelée de son auteur François Rebsamen s’en est malheureusement mêlée.

Une fois l’accord signé des parties, l’employeur devra le transmettre à la DIRECCTE pour obtenir une validation de cette dernière.

La rupture conventionnelle collective est en réalité suspendue à la validation de l’administration

À défaut, le projet devra soit être abandonné, soit être remanié avant de faire l’objet d’une nouvelle présentation. La DIRECCTE dispose de 15 jours pour valider ou invalider le projet. À l’expiration de ce délai et sans réponse de l’administration, la validation est acquise de plein droit. Il est difficile de savoir comment l’administration va-t-elle s’y prendre pour contrôler le projet de rupture conventionnelle collective afin de démasquer les PSE déguisés. Sans doute, à la vue du délai pour effectuer ce contrôle (s’il y en a à chaque fois) que la DIRECCTE va se borner à vérifier les mesures effectives prises par l’employeur tant pour indemniser les salariés au départ que pour assurer leur reclassement externe. Sans doute, certains points de procédure seront passés au crible comme l’information du comité social et économique.

Il est peu probable que l’administration soit capable systématiquement d’opérer un contrôle à la fois minutieux et à la fois dans les délais impartis (affaire à suivre).

Pour le cas où, la validation du projet de rupture conventionnelle collective est obtenue, l’employeur devra dans la foulée en informer les salariés afin d’ouvrir le guichet des candidatures au départ. C’est l’étape indispensable qui finalise le processus. Là encore, la vigilance devra être de tous les instants afin d’épargner les salariés volontaires de discrimination en cas de refus de l’employeur. Les motifs du refus devront être clairs et objectifs. La mesure étant nouvelle, pour illustrer cette logique, il faut se référer aux jurisprudences qui ont défendu cette position s’agissant des plans de départs volontaires autonomes.

Jurisprudence

Les juges considèrent que les motifs argués par l’employeur doivent être déterminés préalablement comme la date limite de dépôt de candidature, ou l’ancienneté requise minimum pour profiter dudit plan (Cass. Soc. 31 mai 2006 n°04-44.085).

Que penser de la rupture conventionnelle collective ?

Depuis août 2008, ce sont près de 2,9 millions de ruptures conventionnelles individuelles (salariés non protégés) qui ont été homologuées par la DIRECCTE (chiffres de la DARES au 28 décembre 2017). Dans le même temps, il n’y a pas eu autant d’emplois créés ou pourvus. Où sont donc passés tous ces ex salariés ? Sans doute, quelques-uns se seront reconvertis, d’autres auront créé leur entreprise ou seront devenus des autoentrepreneurs, mais pour une majorité des cas, nous pouvons légitimement nous interroger sur le fait qu’ils aient réellement pu retrouver un emploi.

En effet, au cours de la même période, depuis la crise économique qui frappe tant le pays que l’Europe, les licenciements économiques massifs se sont poursuivis.

Et demain ? Si les employeurs pouvaient déjà compter sur les plans de départs volontaires et les plans de départs volontaires autonomes, que dire de la possibilité de recourir dès le 1er janvier 2018, à la rupture conventionnelle collective. Hormis le fait d’être inquiet par des suppressions d’emploi de masse, il est peu probable que cela soit la mesure espérée pour retrouver une dynamique économique nationale. Le risque est d’aboutir rapidement à une précarisation de l’emploi et à un nivellement par le bas de la demande (emplois moins qualifiés, salaires plus faibles…). Les salariés concernés pensent flairer la bonne affaire, il n’en est rien.

Le niveau de l’indemnité perçue, bien que couplé à une future allocation chômage, ne suffira pas à couvrir les besoins de ce dernier (voire de sa famille) pendant toute la durée du retour à l’emploi.

N’oublions pas que l’allocation chômage est versée après l’observance d’un délai de carence de 7 jours et que les droits ne courent qu’à l’issue d’une période suspensive plus ou moins longue (différé d’indemnisation pouvant aller jusqu’à 150 jours) ; celle-ci est en effet calculée au prorata des sommes perçues à la rupture du contrat de travail comme les indemnités légales, le solde des congés payés.

Conseil d'Expert

Si je devais vous donner un bon conseil, bien que la mode nous encourage à surfer sur la nouveauté, en matière de rupture du contrat de travail, il y a des occasions qui peuvent être manquées !

Auteur de l'article: Philippe Lesueur-Picot

Avant d’exercer en qualité de Responsable des Ressources Humaines, Philippe Lesueur a également fait ses armes en tant que Responsable Qualité Sécurité Environnement. Confronté très tôt aux problématiques des conditions de travail et des relations au travail, il a bâti des solutions afin de prévenir les risques professionnels.