Le déménagement d’une entreprise

Par Charleine AmelineLe 30 juillet 2017

Le déménagement d’une entreprise ne s’improvise pas. À plus forte raison quand il s’agit de celui d’une grande entreprise. S’installer dans de nouveaux locaux demande de respecter un ensemble de règles, non seulement administratives et commerciales, mais aussi sociales. La modification du lieu de travail des salariés entraînera nécessairement des conséquences sur l’organisation de leur vie personnelle, leurs conditions de travail et de transport.

Le Code du travail impose certaines obligations à l’employeur, tant en matière de droit collectif qu’au niveau individuel.

Prérogatives des IRP lors du déménagement d’une entreprise

Préalablement à toute décision définitive de déménagement, l’employeur se doit de recueillir l’avis des différentes instances représentatives du personnel (IRP). Dans les entreprises de plus de cinquante salariés, le Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de travail (CHSCT) et le Comité d’entreprise (CE) doivent ainsi faire l’objet d’une procédure d’information et de consultation. Dans l’éventualité où l’une de ces institutions viendrait à faire défaut, à la suite d’une carence lors des dernières élections professionnelles par exemple, il appartiendra aux délégués du personnel d’exercer cette mission consultative.

Le déménagement d’une entreprise constitue un motif de consultation obligatoire du CHSCT.

Le CHSCT représente l’acteur clef de la protection de la santé, de la sécurité et de l’amélioration des conditions de travail. Dans le cadre de ses attributions consultatives, il est amené à se prononcer sur l’opportunité de certains projets relevant de son domaine de compétences. Le déménagement d’une entreprise, eu égard à l’importance des changements qu’il engendre pour les salariés, constitue un motif de consultation obligatoire du Comité, sur le fondement de l’article L4612-8-1 du Code du travail. Ainsi, un déménagement impliquant de déplacer plus de cent personnes dans un tout nouvel espace de travail, lui-même équipé avec des machines inédites dont l’utilisation est nouvelle, oblige l’employeur à en débattre lors d’une consultation avec les élus du CHSCT (CA Versailles, 17 déc. 2003, n° 03/00795).

Info utile

À l’appui de son analyse, le CHSCT a la possibilité de recourir à un expert, inscrit sur une liste d’organismes agréés, et spécialisés soit dans la santé et sécurité au travail, soit dans l’organisation du travail et de la production.

Le coût de cette expertise est supporté par l’entreprise. Le CE a également la faculté de faire réaliser une expertise, dont il supportera à l’inverse le financement.

Le CE est aussi consulté sur le projet de déménagement d'une entreprise

La consultation du CE est fonction de l’importance des changements imposés aux salariés. Dans le cadre de ses attributions économiques, le CE bénéficie d’une compétence générale en matière d’organisation, de gestion et de fonctionnement de l’entreprise. Aux termes de l’article L2323-1 du Code du travail, il est obligatoirement informé et consulté sur l’ensemble de ces questions. Notons que la consultation pour être honorable, doit intervenir alors que le projet n’en est qu’à un stade de réflexion, ce qui implique une absence de décision déjà prise à l’image de la résiliation du bail du local occupé (Cass. Crim. 15 mars 2016, n° 14-85.078).

Lors d’un projet de déménagement, l’employeur se doit en conséquence de consulter le CE, à la suite de l’avis du CHSCT (Cass. Soc. 30 juin 2010, n° 09-13.640).

La jurisprudence a toutefois tempéré cette obligation de consultation. Dans un récent arrêt, la Chambre sociale a en effet considéré que le fait d’augmenter d’un étage la surface des locaux de travail n’emportait pas de conséquences telles que le CE aurait dû être obligatoirement de consulté (Cass. Soc. 1er février 2017 n°15-22.362). Les changements consécutifs au déménagement doivent subséquemment revêtir une importance notable, notamment en termes d’organisation, de durée et de conditions de travail.

Conseil d'Expert

Si la consultation du CE n’est pas systématiquement requise, la contourner à mauvais escient reste risqué pour l’employeur… S’ils s’estiment lésés, Comité d’entreprise et CHSCT peuvent en effet demander au juge des référés de suspendre l’exécution du déménagement, voire assigner pénalement l’employeur en délit d’entrave.

Le salarié refuse de suivre le déménagement d’une entreprise

Une fois achevée la procédure d’information et de consultation des IRP, l’employeur peut mettre en œuvre les démarches en vue du prochain déménagement. Mais qu’en est-il de la réaction individuelle des salariés ? Changer de lieu de travail peut bouleverser profondément leurs vies personnelles. Sont-ils en droit de refuser de suivre le mouvement ? Quelles seront les conséquences d’un tel refus ? La réponse à ces questions dépend de l’impact du déménagement sur le contrat de travail : l’installation dans les nouveaux locaux entraîne-t-elle une modification de celui-ci ou un simple changement des conditions de travail ?

Le déménagement d’une entreprise entraîne une modification du contrat de travail.

Au nom du principe d’intangibilité des contrats, énoncé par l’article 1103 du Code civil, le salarié peut s’opposer à toute modification d’un élément essentiel de son contrat de travail. C’est ce qui se passe lorsque l’entreprise est relocalisée dans un « secteur géographique » différent de celui du lieu de travail contractuel. La notion de « secteur géographique » ne connaît pas de définition légale. C’est la jurisprudence qui en a clarifié les contours, en se basant sur des critères tels que la desserte par des moyens de transport en commun, la distance entre les deux lieux, ou encore le temps de trajet. Lorsque l’entreprise déménage dans une autre zone, l’employeur est tenu de ce fait de proposer au salarié la révision de son contrat. Proposition que ce dernier pourra toujours légitimement décliner. Mais attention, l’exercice de ce droit comporte toutefois un risque pour le salarié : celui de se voir licencier pour motif économique. La révision du contrat ne sera, de plus, caractérisée qu’à la condition que le lieu de travail ait représenté un élément essentiel lors de sa signature. Il doit ainsi avoir été expressément stipulé dans le contrat. 

À la suite du déménagement, seules les conditions de travail sont modifiées.

Dans l’hypothèse où l’entreprise se réimplante dans le même secteur géographique que le lieu de travail initial, il ne s’agit alors plus de la modification du contrat, mais d’un simple changement des conditions de travail. La décision de déménager s’impose ici au salarié, dont le refus l’expose à un licenciement disciplinaire. Cette solution s’applique également en présence d’une clause de mobilité : le changement de lieu de travail, même vers un autre secteur géographique, sera considéré comme une modification des conditions de travail.

Les salariés protégés bénéficient d’un statut particulier.

Les salariés protégés bénéficient d’un statut particulier, instauré par les articles L2411-1 et suivants du Code du travail. Pour ceux-ci, peu importe que le déménagement d’une entreprise entraîne une modification du contrat ou seulement des conditions de travail. Dans les deux cas, l’employeur devra obtenir l’accord exprès de chacun. Le cas échéant, aucun licenciement ne pourra avoir lieu sans l’autorisation préalable de l’inspecteur du travail.

L’impact du déménagement sur la vie personnelle du salarié entre aussi en ligne de compte.

Au-delà du raisonnement fondé sur le changement de secteur géographique, les conséquences du déménagement d’une entreprise sur la vie personnelle du salarié doivent aussi être prises en compte. Garde partagée des enfants, prise en charge d’un parent dépendant, etc. : nombreuses sont les problématiques familiales qui expliquent la réticence d’un salarié à changer de lieu de travail. Depuis une dizaine d’années, il est de jurisprudence constante de reconnaître la légitimité d’un refus de mobilité fondé sur des motifs d’ordre privé. Un salarié est en droit de refuser de changer de lieu de travail s’il considère que cela porte une atteinte grave à sa vie personnelle et familiale, et ce même en présence d’une clause de mobilité. Le volet social du déménagement d’une entreprise demande ainsi à être finement organisé. La réglementation du travail garantit certains droits aux salariés. L’employeur est tenu d’impliquer les IRP dans le projet, via une procédure d’information et de consultation.

Il doit aussi gérer les effets de ce changement de locaux sur les contrats de travail qui le lient à ses salariés.

Auteur de l'article: Charleine Ameline

Juriste en droit social, Charlène Ameline a commencé par exercer son métier dans une organisation syndicale. Aujourd'hui en freelance, elle s’est spécialisée dans la rédaction d'articles web sur les différents thèmes du droit du travail. En septembre prochain, elle commencera une préparation à l’examen d’entrée à l’école des Avocats.