Être salarié dans une entreprise familiale

Par Fabrice AllegoetLe 29 juillet 2015

L’Oréal, Auchan, Louis Vuitton, Michelin, Carrefour… sont des entreprises qui par définition sont appelées, entreprises familiales. La raison à cela, le caractère particulier de l’édifice économique et social qui confère que l’entreprise est détenue par les membres d’une même famille. En effet, dans une entreprise familiale, c’est la famille qui détermine la stratégie et la succession de son dirigeant. Ainsi, ces entreprises sont dirigées et pilotées avec possiblement le père, la mère, les frères et sœurs ou encore les conjoints. L’entreprise devient alors une richesse tant personnelle que familiale, léguée aux générations futures d’une même famille afin de pérenniser ce qui constitue année après année, un patrimoine professionnel.

Cette expression, « entreprise familiale » est également utilisée par les salariés pour mettre en avant les valeurs humaines de l’entreprise et parfois le côté paternaliste de l’employeur.

Le fait de connaître ou de côtoyer le père-fondateur de l’entreprise contribue en général à renforcer l’attachement que peuvent éprouver ces salariés à l’égard du dirigeant. Le sentiment d’appartenance à une nouvelle famille, celle du cœur et du travail, ôte parfois le discernement nécessaire que doivent avoir les salariés afin que leurs droits ne soient ni ignorés ni méprisés dans la sphère professionnelle. Il arrive assez souvent que l’affect obscurcisse le jugement des salariés qui place l’entreprise familiale au-dessus de leurs propres intérêts ou de leurs droits.

L’entreprise n’est pas une famille d’adoption ou de substitution

Replaçons les choses dans un contexte plus rationnel. Une entreprise, c’est une structure économique dont l’objectif principal est de produire de la valeur ajoutée afin d’en dégager un profit continuel. Les enjeux sont donc financiers et impliquent une recherche permanente de compétitivité ; l’entreprise doit améliorer en permanence ses coûts de production tout en maintenant ses marges. Les dirigeants de ces entreprises doivent faire régulièrement des choix parmi lesquels, si nécessaire, de réduire les effectifs ou de réorganiser le travail de sorte à diminuer les coûts de fabrication tout en augmentant la productivité.

Les interactions qui se jouent au sein d’une entreprise sont uniquement d’ordre professionnel. Les salariés sont liés par un contrat de travail avec un employeur, lequel est tenu par des obligations légales tant en ce qui concerne les conditions de travail qu’en ce qui porte au respect des droits des salariés. L’affect ne rentre donc pas en considération dans ce qui détermine la relation qui s’établit entre ces deux parties.

L’entreprise n’est donc pas une famille en soi où les relations pourraient différer de celles établies par le contrat de travail. Les salariés entre eux sont par défaut des collègues (pas des proches ni même des amis), les managers ne sont pas des grands-frères ou des grandes sœurs et l’employeur n’est pas un parent (ni  un père, ni une mère). Il n’y a pas de relations filiales entre tous ces protagonistes.

Il arrive souvent que les salariés confondent l’intérêt qu’il porte à leur entreprise qui peut  contribuer à leur épanouissement professionnel avec l’amour de leur travail, de leur métier voire de leur secteur d’activité ; certains salariés se sentent même redevables envers leur employeur qui à leurs yeux participe pleinement à leur bonheur. L’employeur est alors placé en haute estime, parfois au même niveau qu’un membre de sa famille, entretenant ainsi une confusion entre ce qui relève du cadre professionnel, de ce qui appartient au cadre privé et strictement personnel.

L’entreprise est un lieu de devoirs et de droits

L’employeur est un dirigeant doté d’un pouvoir de direction qui lui offre une latitude règlementaire et économique importante. Au regard de la loi, cela permet de gérer l’entreprise selon des règles déterminées par la direction, seul pilote de l’entreprise. Les relations entre la direction et les salariés reposent aussi sur l’existence d’un lien de subordination ; il y a d’un côté, un donneur d’ordres et de l’autre, des exécutants. Précisons que les salariés tout comme l’employeur, doivent exécuter de bonne foi le contrat de travail, ce qui constitue un devoir inaliénable (article L1222-1 du code du travail). Cela implique pour les salariés, de produire le travail qui est demandé dans le respect des consignes, des horaires et de tout ce qui est nécessité pour l’accomplissement de leurs missions.

Le travail produit est valorisé d’une part par l’obligation pour l’employeur de verser aux salariés une rémunération. D’autre part, par les effets de la méritocratie (prime, intéressement, promotion) qui soulignent le profit que retire l’entreprise des salariés valeureux au sein d’une structure toujours plus exigeante en vue de se maintenir à un niveau de profitabilité acceptable.

1/ L’employeur est tenu par des obligations à l’égard des salariés

Au sein d’une entreprise, les salariés ont aussi des droits. Ils s’inscrivent notamment au cœur des obligations qui s’imposent à l’employeur. Ce dernier doit procurer au salarié, le travail correspondant à son contrat de travail  (Cass. soc. 3 mai 2012, n° 10-21396), dans des conditions d’emploi acceptables. En effet, l’employeur doit s’assurer en permanence que le salarié est toujours en capacité d’honorer ses missions (article L6321-1 du code du travail), de même qu’il doit veiller à assurer la sécurité et à protéger la santé physique et mentale des salariés (article L4121-1 du code du travail).

2/ Les salariés peuvent se défendre en cas d’atteinte à leurs droits

Il y a des droits fondamentaux au sein de l’entreprise qui ne peuvent pas être ignorés. L’employeur à l’égard des salariés, engage sa responsabilité contractuelle particulièrement en cas de violation à son obligation de bonne foi (Cass. soc. 23 févr. 2002, n° 00-42280). Les salariés peuvent à ce titre réclamer en justice le versement de dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par l’employeur.

Autre exemple, un salarié dispose d’une certaine liberté d’expression à condition qu’elle ne soit pas ni injurieuse ni diffamante (Cass. soc. 21 avril 2010, n° 09-40848) ; il peut ainsi faire état de ses opinions politiques, de ses activités syndicales, de ses convictions religieuses sans être exposé à une sanction disciplinaire (article L1132-1 du code du travail).

L’employeur doit également respecter la vie privée des salariés y compris au sein de l’entreprise (article 9 du code civil) ; ainsi, toute atteinte à cette obligation peut constituer un manquement grave de l’employeur (Cass. soc. 2 oct. 2001, n° 99-42942). L’employeur doit assurer la protection des salariés notamment en ce qui peut porter atteinte à leur dignité ; dès lors, toute entorse à ce principe légal expose l’employeur à être sévèrement condamné notamment s’il est directement à l’origine de la faute (Cass. soc. 7 février 2012, n° 10-18686).

Le salarié pourrait alors intenter une action en résiliation judiciaire aux torts de l’employeur en réparation du préjudice subi (Cass. soc. 23 janv. 2013, n° 11-18855).

En conclusion, le lieu de l’entreprise suppose des règles, des obligations, tout cela dans le cadre d’une certaine réciprocité. Lorsque les acteurs en présence abusent de leur pouvoir, de leur autorité ou de leurs droits, ils sont exposés à répondre de leurs agissements devant la justice. Nous sommes donc bien loin du cadre familial même s’il n’est pas interdit d’affectionner son entreprise.

Auteur de l'article: Fabrice Allegoet

Fabrice ALLEGOET est un formateur confirmé et certifié en droit social qui s'est spécialisé dans différentes matières (santé et sécurité au travail, RSE et développement durable, management et communication en entreprise). Il est l'animateur des Podcasts "Le CSE En Clair" et "Le Droit de Savoir by CÉOS".