Le mouvement des gilets jaunes contre la politique de Macron

Par Isabelle Vidal-LeonLe 24 février 2019

Le réveil fut brusque, mais la détermination des gilets jaunes était déjà bien présente au début du mouvement. Ils en sont à la quinzième action et semble-t-il pas la dernière. Les samedis se suivent et se ressemblent quelque peu. Parmi les Français, beaucoup affichent leur désapprobation et d’autres espèrent une issue heureuse. Cette grande manifestation nationale sillonne les rues de France depuis plusieurs mois. Les manifestants scandent leurs revendications inlassablement. Parmi leurs buts, l’intention très ferme de dénoncer une politique controversée.

Le gouvernement depuis lors, propose une trêve autour d’un grand débat public. Problème : cela ne suffit pas à apaiser tant la protestation est forte.

Gilets jaunes : histoire d’un nouveau mouvement social

Nous sommes en octobre 2018. Les gilets jaunes se rassemblent et finissent par former un vaste mouvement à l’échelle du pays. Rassemblés un peu partout en France, ils défilent pour rompre avec la politique du Président Emmanuel Macron. La singularité de cette organisation ; se réunir les samedis au grand damne des entrepreneurs et commerçants. Autre signature du rassemblement des gilets jaunes ; les ronds-points. Au début du mouvement, c’est précisément là où ils se retrouvaient pour se faire entendre. À l’époque, la goutte d’eau qui fit déborder le vase, la hausse des carburants. Depuis, la mobilisation s’est étendue à d’autres demandes.

Tout tourne assez franchement autour du pouvoir d’achat. Du droit de vivre décemment du fruit de son travail.

Les casseurs viennent régulièrement troubler les défilés

Le droit de manifester, pas de casser. Voilà ce que l’histoire retiendra aussi de ce mouvement des gilets jaunes. La présence des casseurs et les violences policières font couramment la une des informations. Les Français depuis plusieurs semaines expriment leur ras-le-bol des heurts dont ils sont parfois les victimes collatérales. Les organisateurs le jurent, ils sont tout autant les otages de ces débordements. Pourtant, certains gilets jaunes s’illustrent pour leur franc-parler un peu vif notamment à l’égard de la police. D’autres sont montrés du doigt pour attiser la haine.

D’affrontement en affrontement, les revendications se diluent dans un mouvement dépeint comme anarchique et décousu.

Les gilets jaunes veulent surtout faire entendre un message

Vivre et non survivre. En filigrane, c’est aussi cela le message des gilets jaunes. Plus personne ne veut être considéré comme un travailleur pauvre. Le travail doit offrir d’autres perspectives que des fins de mois difficiles. Le mouvement des gilets jaunes agrège aussi d’autres victimes à l’image des étudiants, des retraités, des fonctionnaires, des chômeurs…

Constat amer

Faute d’avoir réussi à structurer l’élan protestataire, le mouvement s’éparpille au cœur de multiples doléances.

Cela le défavorise, mais paradoxalement, cela lui donne aussi matière à résister. La force de cette initiative populaire inédite ; plus d’égalitarisme et de justice sociale. Ainsi, parmi les attentes, une meilleure répartition des richesses et des impôts. Plus de revenus pour les moins aisés, et plus de taxes pour les grandes fortunes (retour de l’ISF). On retiendra la volonté de faire grimper le SMIC à 1300 € net et des retraites à 1200 € au moins. Les gilets jaunes veulent protéger les petits commerces. Ils souhaitent tout autant un plan pour relancer l’industrie française. Force est de constater que certaines demandes ne seront pas prises en considération. Par exemple, le prélèvement à la source, bien que fortement conspué, s’impose désormais à tous les actifs. D’autres peuvent encore être suivies comme la déprécarisation des salariés en favorisant les CDI.

L’instauration d’un référendum d’initiative citoyenne (RIC) s’inscrit parmi les prétentions qui fédèrent le plus de monde.

Les gilets jaunes célèbres pour leurs frasques ou leurs engagements

Autre particularité de ce mouvement au cœur de l’actualité, ces célébrités. Sans doute sans l’avoir réellement cherché, certains gilets jaunes se sont largement fait remarquer. Il y a d’un côté, les gilets jaunes connus pour leurs engagements politiques et de l’autre, des meneurs troublants. C’est ainsi que Jacline Mouraud se retrouve aux commandes d’un projet politique baptisé « les émergents ». Malgré tout, une frange importante de ce mouvement protéiforme et apolitique se désolidarise de toute initiative individuelle. C’est la raison pour laquelle, les gilets jaunes refusent tout « meneur » ou « porte-parole » officiel. Ils préfèrent parler de messagers pour désigner ceux qui seraient interrogés au nom du mouvement. Pourtant, des figures de proue sont aujourd’hui clairement désignées à l’image d’Éric Drouet et de Maxime Nicolle.

Dernièrement, Ingrid Levavasseur, gilet jaune convaincue, a déposé plainte pour en particulier dénoncer les violences dont elle fait l’objet.

Quel avenir pour le salariat en France ?

Les travailleurs français réclament plus de reconnaissance, une rémunération à la hauteur des efforts produits et moins de taxes. Mais le salariat traditionnel est à bout de souffle. L’hyper précarisation de l’emploi en est un parfait exemple. Lorsque plus de 80% des embauches se font en CDD, il faut s’interroger. De nos jours, il est cependant trop tôt pour parler de « fin du salariat ». Mais sans doute d’une relecture de notre approche du travail. L’auto-entrepreneuriat et les travailleurs indépendants nucléarisent de plus en plus le salariat. On constate ainsi une émancipation grandissante de certains travailleurs. Ils veulent s’affranchir des employeurs, des grandes entreprises.

Avis d'Expert

L’ère du numérique, l’ubérisation du système marchand classique et la génération slashers participent de cette transformation.

Néanmoins, même si l’heure n’est plus à demeurer salarié toute sa vie au sein d’une même entreprise, beaucoup aspirent à signer un CDI. Derrière ces trois lettres, il y a la liberté de vivre sans contraintes. Pour de nombreux salariés, le CDI, c’est le sésame pour se loger, obtenir un crédit… C’est pour ça sans doute que le salariat ne mourra pas demain. Notre modèle de société est encore bien archaïque. Sans ce précieux contrat difficile à obtenir, c’est le début d’une épopée au cœur de la précarité. C’est en substance ce que dénoncent tant les CSE en France que leurs homologues syndicalistes.

Le modèle « salarié/employeur » doit se transformer s’il ne veut pas produire encore plus de dégâts.

La fin du mouvement des gilets jaunes est-elle possible ?

Sans doute, une fin se profile. Rien ne dure éternellement. Pour l’heure, de nombreuses personnes sont suspendues aux résultats du débat national. Certains y voient une perspective possible, d’autres au contraire, une perte de temps dangereuse. Mais après les gilets jaunes, rien ne sera plus comme avant. L’histoire est désormais frappée par ce soulèvement né des réseaux sociaux. Cet événement historique fera date pour le quinquennat de Macron. Il fait pâlir la grande grève de 1995 qui coûta la place de 1er ministre d’Alain Juppé. Même 1968 semble perdre de son panache. Les gilets jaunes ont frappé fort.

Si les revendications des gilets jaunes trouvent grâce aux yeux du gouvernement, on peut espérer une fin du mouvement par la grande porte.

Au contraire, on peut craindre un regain populaire qui deviendra difficile à contenir. Pour étancher la soif de justice sociale de ce mouvement, il ne faudra pas se contenter de basses mesures. À défaut, ce sera à coup sûr, du carburant pour relancer la lutte. Sans doute, les gilets jaunes pourront continuer à compter sur certains politiques comme Jean-Luc Mélenchon (France Insoumise). De nombreuses célébrités supportent déjà le mouvement depuis quelques semaines. Les gilets jaunes sont à la fois soutenus et décriés. La fièvre ne redescendra qu’à la condition d’obtenir des concessions honorables. Peut-on se diriger toutefois vers une application de certaines des revendications énoncées plus haut ? Cela semble improbable en ce qui vise le SMIC ou le plancher des retraites.

Question

Mais alors, qu’est-ce qui peut faire cesser ce mouvement ? C’est une vraie question à laquelle, il est trop tôt pour répondre objectivement.

Auteur de l'article: Isabelle Vidal-Leon

Juriste en droit privé et droit social, Isabelle exerce en indépendante depuis quelques années le métier de conseil aux entreprises et de formatrice en droit social. Elle travaille également depuis quelques années comme consultante auprès des particuliers pour le traitement de litiges divers liés au travail.