Pourquoi le changement climatique limite-t-il la lutte contre la pauvreté ?

Par Fabrice AllegoetLe 23 décembre 2023
les causes et les conséquences du changement climatique

CNous sommes face à une évidence, les populations les plus vulnérables, pauvres, sont confrontées aux conséquences les plus dévastatrices du changement climatique. La pauvreté touchant déjà une bonne partie de la population mondiale est accentuée par les impacts des changements climatiques, créant un cercle vicieux d’inégalités persistantes. Il faut ainsi comprendre le lien complexe entre ces deux « maux » de société et trouver des solutions tangibles pour lutter contre ceux-ci.

Le changement climatique influence de nombreux aspects de nos vies, y compris la lutte contre la pauvreté

Le changement climatique a sans aucun doute un impact dans la lutte contre la pauvreté, particulièrement en Afrique et Asie du Sud. Les trois principales raisons sont :

  1. la diminution de la production agricole ;
  2. l’augmentation de la fréquence des catastrophes naturelles ;
  3. et l’aggravation des conditions de travail, de l’état de santé, à défaut de ressources suffisantes pour se soigner,…

Incidence du changement climatique sur la pauvreté : focus sur la diminution de la production agricole

Bon nombre de personnes, surtout dans les pays en voie de développement, comptent sur les ressources naturelles pour vivre : se nourrir, gagner de l’argent pour satisfaire les besoins personnels, etc. Or, une diminution de la production agricole limite la capacité des populations pauvres à se nourrir convenablement et à tirer parti de ce qui aurait pu être leur production pour combler leurs besoins.

En effet, l’augmentation des températures, les évènements météorologiques extrêmes : sécheresse, tempêtes, inondations ; dégradation des sols, ne sont pas étrangers à ce phénomène. Cela perturbe le calendrier agricole.

Les cycles agricoles/phénologiques étant impactés, cela peut désavantager la récolte de certaines cultures. Il ne faut pas omettre le scénario suivant. Les pertes de récolte résultant de la sécheresse, ou a contrario des précipitations intenses. Par exemple les fortes pluies de plus en plus imprévisibles, sporadiques, peuvent aussi détruire les cultures et dévaster les terres cultivables. Cela met en lumière une autre évidence, l’impossibilité d’exploiter certaines terres pour faire de l’agriculture. D’après un rapport du GIEC, dans le « meilleur des cas », 8 % des terres agricoles seraient inexploitables d’ici à 2100, voire 30 % dans le pire des scénarios. En 2018, une étude (PNAS – revue scientifique américaine) a révélé que la hausse globale des températures de 4° supplémentaires provoquerait une baisse de près d’un tiers des récoltes de légumes en Afrique, Asie du Sud, Europe du Sud.

Bon à savoir

En France, nous ne sommes pas à l’abri de cette instabilité climatique, ce qui aurait pour conséquence de modifier d’une année à l’autre les dates de récolte, pour les agriculteurs, de les amener à faire évoluer leurs pratiques agricoles.

Autrement dit, modifier leurs comportements et pratiques de gestions de l’agriculture. Par exemple, pour faire face aux périodes de sécheresse fréquentes, les agriculteurs devront irriguer leurs champs plus tôt et souvent, ce qui demande encore de faire appel aux ressources naturelles, notamment l’eau.

► Ce changement impacte négativement l’agriculture

Elle constitue pour certaines populations leurs moyens de subsistance les plongeant davantage dans la pauvreté. Pour cause, la réduction des rendements des cultures, échecs de récoltes,… Les personnes dépendant principalement de l’agriculture, celles qui vendent aussi ces produits, par exemple sur les marchés,… font directement face à une plus grande vulnérabilité économique. Toujours selon la Banque Mondiale, la production pourrait diminuer de 17 % en Asie de l’Est contre 23 % en Asie du Sud, et de 15 % en Afrique, d’ici à 2080. Qui dit baisse de la production d’un côté dit augmentation des prix de l’autre côté, particulièrement les prix agricoles qui pourraient monter jusqu’à 70 % d’ici 2080 en Afrique Subsaharienne, contre 23 % en Asie du Sud. L’on parle de populations déjà confrontées à la pauvreté. Ainsi, la hausse de prix ne serait qu’une conséquence désastreuse de ce fléau obligeant à choisir entre se nourrir ou se soigner pour certains.

En parallèle, ces évènements climatiques extrêmes affectent aussi la biodiversité, les sols, rendant l’agriculture plus difficile.

Avec la prolifération des insectes ravageurs, des maladies, les mauvaises herbes entrant directement en compétition avec les cultures… toutes ces choses, représentent un coût supplémentaire pour s’en débarrasser. Or, ces populations subissent déjà des pertes financières en raison du changement climatique, comment pourraient-elles faire face à ces intrants coûteux ? L’on tombe ainsi dans un cercle vicieux, où celles qui perdent sont bien évidemment, celles qui sont incapables d’y faire face.

Sur l’augmentation de la fréquence des catastrophes et la répercussion sur les populations pauvres

Le changement climatique a une incidence significative sur le nombre et l’intensité des catastrophes naturelles :

  • inondations ;
  • incendies de forêt ;
  • sécheresses ;
  • ouragans…

Les températures élevées, les déséquilibres au niveau climatique amplifient les évènements météorologiques extrêmes auxquels il faut faire face. L’on constate en pratique que les populations pauvres sont directement impactées par la fréquence de ces catastrophes. Prenons le cas du Cyclone Aila intervenu il y a quelques années dans le sous-district de Shyamnagar, au Bangladesh, le taux de pauvreté a augmenté, en passant de 43 à 63 %. Cela s’explique par le fait que ces populations peinent à se reconstruire après ce type de catastrophe. Tout leur quotidien, mode de vie… est ainsi bouleversé tant pour les jeunes, les adultes, les parents que les enfants. Par exemple, suite à cet évènement, les enfants des familles les plus pauvres ont été desclorarisés, ce qui impacte leur éducation et la possibilité d’avoir un meilleur travail à l’avenir. Autrement dit, cela les maintient dans l’état dans lequel ils sont sans possibilité d’avenir, du moins pas tout de suite.

Par conséquent, ces catastrophes naturelles impactent davantage les populations pauvres, qui lorsqu’elles sont touchées, peinent à se reconstruire tant les pertes subies sont plus importantes pour elles.

Prenons le cas pour un agriculteur qui concentre ses revenus sur son bétail, et des biens de moins bonnes qualités (maisons en bois, bambous…), il est plus vulnérable en cas de catastrophes naturelles. Là où les populations aisées se concentreraient sur des actifs financiers ou encore des maisons en brique. Sans omettre qu’en situation de stress, cela peut pousser les populations vulnérables à vendre leurs biens (terres agricoles…), les maintenant encore plus dans cette précarité puisqu’elles n’auront plus cette « ressource durable ».

Sur l’aggravation de l’état de santé des populations dans le besoin

Le changement climatique peut aggraver l’état de santé des populations vulnérables et cela a un lien direct avec la pauvreté. En effet, les vagues de chaleur de plus en plus fréquentes, intenses exposent les individus, notamment les plus jeunes et les plus âgés à des problèmes de santé (jambes qui enflent, dermite…) parfois graves en raison des effets de la chaleur sur l’organisme : déshydratation, épuisement, syncope, décès. Les populations les plus vulnérables, comme celles pauvres, sont donc principalement visées par le changement climatique. De plus, elles n’ont pas accès à des systèmes de santé de qualité faute de moyens financiers, la majeure partie de leurs gains vont directement dans les dépenses de santé. Au Kenya par exemple, 73 % des ménages affirment que les dépenses liées à la santé constituaient l’une des raisons principales de leur précarité. En effet, ces populations ont du mal à mettre de l’argent de côté pour anticiper les éventuels problèmes de santé, ce qui impacte quand elles sont malades leur rendement, et par ricochet influence leur revenu.

Bon à savoir

S’agissant de l’accès à l’eau, la pénurie est déjà un problème pour les populations pauvres. D’ici à 2025, le nombre de personnes affectées par le manque d’eau passerait de 1,7 milliard à 5 milliards. Les personnes vivant dans les zones subtropicales seront encore plus touchées qu’elles ne le sont déjà.

Un autre point à soulever s’agissant des maladies, c’est la malnutrition, l’insécurité alimentaire. Les populations pauvres sont plus souvent sujettes à ces problèmes, ce qui naturellement les empêche de sortir de cette pauvreté puisqu’elles auront du mal à être productives et à travailler efficacement.

Des solutions pour lutter contre la pauvreté en dépit du changement climatique : s’adapter et refuser de se laisser submerger ?

Parmi les solutions pour lutter activement contre la pauvreté malgré le changement climatique, c’est la capacité d’adaptation aux extrêmes climatiques.

Concilier politiques de changement climatique et lutte contre la pauvreté

Il est sans conteste que le changement climatique impacte négativement la lutte contre la pauvreté. Partant, pour éviter que les choses ne s’aggravent davantage, il faut mettre l’accent sur la conciliation des politiques traitant du phénomène de changement climatique et celles en lien avec la lutte contre la pauvreté. Déjà en 2015, la banque mondiale lançait la sonnette d’alarme sur le fait qu’il n’est pas impossible que 100 millions de personnes supplémentaires soient sous le seuil de la pauvreté d’ici à 2030.

Il est impératif de prendre des mesures adéquates pour atténuer les effets du changement climatique.

Le combat étant dur, long à mener, et pourquoi pas incertain pour les plus pessimistes, il serait donc opportun de soutenir les personnes les plus vulnérables, afin de promouvoir : la sécurité alimentaire, les soins appropriés, et continuer à lutter activement contre la pauvreté et le changement climatique.

S’adapter au changement climatique pour lutter contre la pauvreté

La pauvreté ne se définit pas essentiellement sur le plan économique avec le manque de revenus ou ressources pour garantir les moyens de subsistances durables. Elle fait aussi référence à la malnutrition, l’exclusion, l’impossibilité d’accéder à l’éducation (86 % des enfants ne sont pas scolarisés dans les pays à faible développement humain contre 20 % dans les pays à développement humain élevé), ou des services de base, à participer dans les prises de décision, etc.

▷ Comprendre ce qu’est la pauvreté

C’est pouvoir mesurer son ampleur à l’échelle mondiale et trouver des solutions pour lutter contre celle-ci. Cependant, il faut aussi inclure dans les solutions envisageables l’adaptation au changement climatique. Car l’on n’est pas sans savoir que ces changements climatiques vont à la longue pousser ces populations à se déplacer, à migrer davantage. Cela n’est pas sans conséquence sur le risque de conflit tant économique que politique. L’on pourrait assister à des troubles sociaux, une instabilité politique, et même des guerres compte tenu de la raréfaction des ressources, de l’eau…

Déjà en 2000, pour l’éradication de la pauvreté, la déclaration du millénaire a été adoptée par les dirigeants des 189 nations à l’époque.

En découlent 8 objectifs du millénaire pour le développement durable (OMD) rudement mis à l’épreuve par le changement climatique, à savoir :

  1. Contribuer à la diminution de l’extrême pauvreté et de la faim ;
  2. Garantir à tous une éducation primaire ;
  3. Soutenir activement l’égalité des sexes et encourager l’autonomisation des femmes ;
  4. Réduire la mortalité infantile ;
  5. Améliorer la santé maternelle ;
  6. Combattre les principales maladies ;
  7. Assurer un environnement durable ;
  8. Établir un partenariat mondial dans un objectif de développement.

À titre d’exemples, comme frein occasionné par le changement climatique sur la réalisation de ces objectifs. Pour le volet objectif 7 relatif à l’environnement durable, ces changements impacteront négativement la qualité et la productivité des ressources naturelles ainsi que des écosystèmes dont certains pourraient être endommagés de manière irréversible. De plus, la perte de biodiversité et la dégradation de l’environnement risquent d’être amplifiées par ces changements. Sur le volet 1 dédié à la réduction de l’extrême pauvreté et la faim : la dégradation ou la destruction d’une partie des actifs qui sont à la base des moyens d’existence des populations pauvres est une conséquence probable des changements climatiques : accès à l’eau potable, logements… Dans ces conditions, lutter contre la pauvreté implique de s’adapter aux changements climatiques.

Renforcer les efforts d’adaptation pour éviter l’aggravation de la situation actuelle : faire face à plus de 700 millions de personnes en situation d’extrême pauvreté autour du globe

Si l’extrême pauvreté a nettement reculé ces dernières décennies, passant de 36 % en 1990 à 10 % de la population vivant avec moins d’1,90 dollar par jour, près de la moitié de la population mondiale peine à satisfaire ses besoins élémentaires. Déjà en 2016, selon les données des Nations Unies, celle-ci ne bénéficiait d’aucune protection sociale pour affronter les crises, les chocs (accident de travail, maladie, vieillesse…).

Si le changement climatique impacte la réalisation des OMD ainsi que les stratégies nationales visant à réduire la pauvreté, et de développement durable, il revient à la communauté des acteurs du développement d’aider ces populations à mettre en place des mesures appropriées pour contrer les effets néfastes du changement climatique.

Il s’agit là d’améliorer la capacité d’adaptation de ces populations à ce phénomène. En d’autres termes, pouvoir faire face aux phénomènes extrêmes, la variabilité du climat actuel, ainsi qu’aux conditions climatiques futures.

Quelques solutions pour lutter activement contre la pauvreté en incluant le volet changement climatique selon l’OCDE

  • Prévoir des solutions pour pallier la vulnérabilité dans le contexte de la durabilité des moyens d’existence ;
  • Croissance équitable et capacité d’adaptation face aux changements climatiques ;
  • Améliorer la gouvernance afin d’inclure la question du climat dans la lutte contre la pauvreté.

En définitive, il faut prendre en compte le processus d’adaptation dans les stratégies et pratiques de développement. Autrement dit, mettre en synergie les politiques nationales de développement avec le dossier climatique pour maintenir une certaine cohérence dans les objectifs de développement et d’adaptation aux changements climatiques. Cela implique la valorisation du capital humain, de renforcer les systèmes institutionnels et gérer de façon saine les finances publiques et les ressources naturelles. Ainsi, les pays, communautés et ménages seront plus à même de faire face aux changements climatiques, et la majorité des problèmes y afférent. Les parties prenantes doivent par ailleurs agir de concert dans cette démarche. Les populations pauvres (par exemple se diversifier dans des secteurs autres que l’agriculture), les instances gouvernementales, société civile…

✍️ Le changement climatique affecte les populations pauvres à bien des égards : santé, alimentation, travail,…

En ce sens, il accentue la pauvreté. Il est urgent de prendre des mesures pour atténuer les effets provoqués par ce fléau sur les populations les plus pauvres. Trouver des solutions durables, composer avec le changement climatique, soutenir ces populations, afin de briser ce cercle vicieux. Il n’est pas étonnant que le premier objectif de développement durable pour transformer notre monde porte sur l’éradication de la pauvreté sous toutes ses formes.

Auteur de l'article: Fabrice Allegoet

Fabrice ALLEGOET est un formateur confirmé et certifié en droit social qui s'est spécialisé dans différentes matières (santé et sécurité au travail, RSE et développement durable, management et communication en entreprise). Il est l'animateur des Podcasts "Le CSE En Clair" et "Le Droit de Savoir by CÉOS".