Se protéger du management par la peur

Par Isabelle Vidal-LeonLe 5 février 2018

Le management par la peur appelé aussi, le management par la terreur, nous fait replonger dans les heures sombres des salariés de l’entreprise ORANGE frappés par une vague de suicides qui avaient défrayé la chronique. De nos jours, de nombreux salariés craignent encore pour leur emploi, acceptant docilement toutes les contraintes imposées par leur employeur. Personne ne moufte. Plus récemment, ce sont les enseignes FREE et LIDL qui ont été épinglées.

Le management par la peur se nourrit des doutes et des incertitudes des salariés.

Comment fonctionne le management par la peur ?

Le management par la peur consiste à obtenir des salariés, une parfaite obéissance. Il n’est pas question de laisser aux salariés, la possibilité de contester les consignes qu’ils reçoivent ni même qu’ils les commentent un tant soit peu. Obnubilés par les résultats, les salariés sont uniquement intéressés par leurs objectifs et n’entretiennent avec leurs collègues aucune relation particulière. La peur d’être mal vu, mal jugé ou mal évalué prend nécessairement le dessus.

Personne ne dit mot, chacun est hyper concentré sur sa mission.

Le stress permanent devient un moteur et un carburant alimentant au passage toutes les autres peurs sous-jacentes (peur de mal faire, peur de ne pas y arriver, peur de décevoir, peur de ne pas atteindre les objectifs, peur de se faire virer, etc..). Le management par la peur encourage tous les fantasmes et nuit fortement à la cohésion d’équipe. Les supérieurs hiérarchiques, adeptes de cette façon de faire, mettent la pression aux collaborateurs sans discontinuer, laissant planer au-dessus d’eux, comme une épée de Damoclès, la menace implicite d’une sanction ou de représailles.

Le management par la peur annihile les initiatives

Les salariés sont empêchés d’avoir du génie ou de réfléchir par eux-mêmes ! Leur supérieur direct ou leur employeur en général, ne cherche pas à exploiter la créativité des salariés placés sous leur autorité. Au contraire, les salariés sont des exécutants, soumis au dictat de la politique de l’entreprise. Tout est parfaitement orchestré pour ne laisser aucune place à la liberté d’entreprendre. Les salariés doivent uniquement répondre de leurs compétences et commenter régulièrement leurs résultats. Le chef est obsédé par la productivité, le respect des délais, la qualité du travail réalisé, la performance de l’équipe et des collaborateurs qui la composent, tout cela, essentiellement au profit de l'entreprise.

L’individu n’est qu’un marchepied qui conduit vers cet idéal.

Le management par la peur, facteur de l’hyperstress

Les salariés sont sous pression ! Imaginez une cocotte-minute prête à exploser. Si vous n’ôtez pas la soupape de sécurité, vous empêchez toute la vapeur de s’évacuer et par conséquent, le risque d'explosion est plus important. Cette métaphore traduit parfaitement ce qui se passe à l’intérieur de chaque salarié éconduit quotidiennement par un management oppressant et répressif. Il n’est jamais possible d’évacuer la pression ; elle prend possession des salariés et elle entretient sans relâche, une peur du lendemain.

Témoignage

Certains salariés illustrent ce phénomène en indiquant venir au travail avec la boule au ventre, la gorge nouée, les larmes aux yeux. Le corps réagit instinctivement à ces attaques à répétition pour s’en défendre tant qu’il le peut.

Le management par la peur engendre de l’hyperstress et expose les salariés à des risques pour leur santé mentale et physique. Tout le monde est plus ou moins stressé. Le stress est émulant, parfois nécessaire. À trop forte dose en revanche, il devient toxique. En France, dans un rapport de l’observatoire du stress au travail rendu en novembre 2017, 24% des salariés sont touchés par l’hyperstress. Cette surexposition au stress est responsable de nombreux risques psychosociaux comme le burn-out ou la dépression. Les salariés expriment souvent des douleurs tant physiologiques que psychologiques. Celles-ci sont différentes et multiples selon les individus et leur sexe. Cela peut conduire au déclenchement d’un eczéma ou se traduire par une irritabilité à fleur de peau. Pour les personnes addicts à l’alcool, la tentation de boire davantage est plus forte, certains se vengent sur la nourriture (crise de boulimie), d’autres au contraire, ne s’alimentent plus (anorexie).

L’hyperstress au travail est la cause directe d’une charge de travail trop conséquente, voire exigeante, et d’une intensification des rythmes professionnels.

Ajouté à cela, un management par la peur et vous obtenez un cocktail très dangereux pour la santé des salariés exposés à ce régime infernal. L’absence de répit asphyxie les rapports quotidiens et ôte toute faculté aux salariés de reprendre le dessus. Ils sombrent peu à peu dans un abîme, au risque de ne jamais s'en relever. La vie privée est directement touchée ; les salariés éprouvent même des difficultés à ne pas penser au travail les week-ends ou durant les congés estivaux.

Le management par la peur laisse place à tous les vices

Il existe plusieurs formes de management. En ce qui concerne le management par la peur, il va de soi que leurs adeptes ne sont pas ouverts à la remise en cause de leurs pleins pouvoirs et de leur forte et néfaste ascendance sur l’autre. Cette forme très contestable de management ouvre la porte aux pires individus. Parmi ces managers très accablants, il y a le manager-harceleur. Ce dernier aime épier, se nicher au-dessus de votre épaule, traquer la moindre minute d’activité, et se fait un devoir de tout contrôler. Il n’est jamais réellement satisfait et vous le fait savoir. Son management est basé sur la défiance et non sur la confiance réciproque.

Le manager tout puissant peut accoucher tantôt d’un manager à l'égo surdimensionné, à la mauvaise foi caractérisée, au vice non dissimulé, etc.

Il n’y a aucune limite sinon celle de l'imagination de ces infâmes individus. Le caractère nocif de certaines méthodes de management est souvent pointé du doigt depuis des décennies. C’est le cas notamment du management appelé le harcèlement organisationnel. Cette méthode s’inscrit dans la mise en place d’actions conduisant à l'avilissement du salarié et à son épuisement psychologique. Tout est fait pour le rendre vulnérable et prend la forme de récriminations incessantes, de sanctions injustifiées. Le salarié est poussé vers la sortie et pour les plus résistants, les mesures prises à leur égard sont sans appel ; mise au placard, changement du lieu de travail avec comme seul objectif, contraindre le salarié au départ. Il est placé devant un choix cornélien ; celui de rester au sein de l'entreprise coûte que coûte ou de préférer sa stabilité familiale.

Les salariés sont des pions et font partie d’un jeu funèbre où la rentabilité déshumanise tout rapport.

Comment faire face au management par la peur ?

Le premier conseil que nous pourrions donner est somme toute assez simple à observer. Il faut en parler ! Personne ne peut gérer une situation de stress au boulot en conservant tout en lui ou en elle. Le mieux est de faire part de vos difficultés, de vos angoisses et de vos doutes à une personne digne de votre confiance ; un membre de la famille peut suffire, mais il faut s’appuyer sur un individu capable de discernement et qui ne vous jugera pas. À défaut de quelqu’un de cette qualité, il ne faut pas hésiter à consulter un thérapeute ou engager un processus de coaching. Les salariés victimes du management par la peur ont souvent la fâcheuse manie de se renfermer sur eux-mêmes.

Conseil d'Expert

Le fait d’expulser ce qui vous ronge est primordial.

L’insécurité au travail, c’est-à-dire, cette peur permanente de perdre son emploi conduit les salariés à refuser toutes les éventualités et notamment celle de quitter l’entreprise, responsable de tous leurs maux. La raison à cela ? Ces salariés ont perdu peu à peu confiance en eux, en leurs capacités. Ils idéalisent les autres, sous-estiment leurs compétences, se retranchent derrière d’innombrables idées reçues ; « je suis trop vieux, je ne retrouverai pas facilement le même travail, c’est trop tard pour faire autre chose, je n’ai plus l’âge pour changer de vie, personne ne voudra m’embaucher », etc. Ces analyses sont le fruit du management par la terreur.

Remarque de l'auteur

Personne n’est jamais parvenu à la frontière de sa vie professionnelle, quels que soient son âge, ses qualifications, son lieu de vie, ses aspirations et son entourage !

Pour lutter contre le management par la peur, il faut commencer par retrouver l’estime de soi. Il faut se dire et ne jamais cesser de se le répéter : j’ai des compétences, je peux faire ce qu’il me plaît. Ensuite, il faut réfléchir à un projet et envisager toutes les possibilités de succès. Rien n’est impossible, mais rien n’est acquis sans effort. Tout est une question de dosage et de bon sens. En revanche, il ne faut rien exclure. Un bilan de compétences est un outil puissant et utile, mettant en perspective tant vos aptitudes et les orientations compatibles avec celles-ci.

Dernier conseil pour faire face au management par la peur ; il faut dénoncer les persécuteurs afin qu’ils réalisent leurs méfaits. Atteindre à l’intégrité d’une personne est un délit !

Auteur de l'article: Isabelle Vidal-Leon

Juriste en droit privé et droit social, Isabelle exerce en indépendante depuis quelques années le métier de conseil aux entreprises et de formatrice en droit social. Elle travaille également depuis quelques années comme consultante auprès des particuliers pour le traitement de litiges divers liés au travail.