La démobilisation des représentants du personnel

Par Fabrice AllegoetLe 7 décembre 2018

Depuis quelques années, j’observe une certaine démission des représentants du personnel. De nombreux élus du personnel sont en effet moins mobilisés ces dernières années. La raison à cela ? Le manque de temps, semble-t-il ?

Ou est-ce encore une excuse pour justifier cette démobilisation grandissante ?

Les représentants du personnel, une absence remarquée

Les salariés se plaignent régulièrement du manque d’implication de leurs représentants du personnel. Ils sont déçus pour ne pas dire résignés. De nombreux salariés ignorent en outre le rôle de leurs élus. Ils confondent au fil des années, et pour cause, l’ensemble de leurs prérogatives. Comment pourraient-ils se souvenir, alors que les élus ne communiquent plus ou si peu. Les rares moments de complicité sont relégués à des rapports d’argent via le CE.

Les élus sont de moins en moins accessibles de l’aveu de certains salariés.

Mais alors, comment peut-on expliquer la démobilisation des représentants du personnel ? Parmi ceux qui osent s’exprimer sur le sujet, plusieurs facteurs entrent en jeu. Voyons lesquels en particulier.

Le manque de temps est devenu l’argument clé

Il en fallait une, l’ultime raison de cette démobilisation. Nous le savons tous, les membres titulaires disposent d’un crédit d’heures de délégation chaque mois. Certes avec les années, au fil des réformes, ce crédit d’heures a été largement amputé. Pourtant, ils sont encore nombreux, ces membres qui refusent de prendre régulièrement leurs heures de délégation. Ils sont convaincus de manquer de temps. En réalité, ils n’osent pas affronter leur employeur. Ce dernier refuse tout aménagement de leurs horaires. Je ne vous parle pas de la charge de travail qui ne diminue pas davantage.

Face à ces constats, les élus rencontrent de réelles difficultés à conjuguer l’ensemble de leurs activités.

Les représentants du personnel délaissent volontiers leurs missions

Au lieu de se battre pour faire respecter leurs droits, ils y renoncent sans un bruit. L’employeur serait bête de ne pas en profiter, encore et encore. Je sais ce que vous pensez à cet instant. C’est plus facile à dire qu’à faire ! Je ne le crois pas. À une époque, les élus qui rencontraient des difficultés pour faire appliquer leurs droits n’hésitaient pas à saisir la justice. J’ai été de ceux-là ! De nos jours, ils se contentent de fermer les yeux. L’employeur fait mine de rien de son côté et pour cause ! C’est la rencontre des aveugles au pays des sourds. Et c’est précisément pour cela que les élus pointent aux abonnés absents.

Demandez-vous qui paye l’addition à l’arrivée ? Les salariés, pardi ! Si les élus renoncent à prendre du temps pour eux, il n’y aura plus personne pour les représenter.

Le temps de délégation pour les représentants du personnel, ce n’est pas une option. Ce temps sert à nouer des contacts réguliers avec les salariés. Il sert aussi à préparer les réunions. Les élus peuvent également inspecter, administrer les affaires courantes du CSE, gérer les œuvres sociales, réaliser des sondages… Ce temps doit être employé pour être au service des salariés. C’est d’abord pour eux que les élus travaillent durant l’année. S’ils ne prennent pas le temps de le faire, il ne se passera rien.

L’absence de compétences est souvent mise en avant

Les élus se plaignent de ne pas disposer des compétences nécessaires pour assumer leurs obligations. Ils remettent en cause la complexité des missions. Ce désinvestissement progressif serait donc le fruit d’un manque de formation ? Il existe bien des solutions pour y remédier. Les élus titulaires bénéficient de dispositifs pour se former. D’une part, il est possible de souscrire à une formation économique, d’autre part, de participer à une formation SSCT. Dans les deux cas, ces formations éclairent les élus sur le fonctionnement du CSE (comité social et économique).

Apprendre implique néanmoins du temps. Au moins 3 jours pour la formation économique et entre 3 et 5 jours (tout dépend de l’effectif) pour la formation SSCT.

Après une formation, les élus sont souvent revigorés. Le savoir fraîchement acquis participera à leur envol au fil des mois. Les élus auront plus d’assurance. Cette confiance en leurs nouvelles compétences sera un atout voire un allié pour faire face à l’employeur. Tout au long du mandat, je conseille de participer à de multiples stages pour rester « connecté » avec ses missions. Les élus peuvent se former pour mieux communiquer ou pour se professionnaliser (rôle du secrétaire du CSE, mission du trésorier du CSE, place du règlement intérieur du CSE…).

Le savoir est un inconditionnel du pouvoir. Il est donc primordial de ne pas se laisser dépasser par les événements.

L’employeur de son côté, se prépare. Il est par ailleurs bien accompagné et éclairé s’agissant des questions en lien avec le droit social et le droit collectif. Les élus ne peuvent pas se contenter de quelques bribes d’informations glanées sur la toile. Il serait impensable de tenir tout un mandat sans jamais prendre le temps d’acquérir les compétences indispensables. Être représentant des salariés suppose de disposer des bagages en lien avec cette mission exigeante.

Financement de ces formations

La formation économique du CSE est financée par le budget de fonctionnement du CSE. Il est donc important de ne pas siphonner ce budget en le détournant au profit de dépenses illégitimes. D’un côté, les élus se plaignent du coût des formations et de l’autre, ils utilisent leur budget de fonctionnement pour acheter des cadeaux aux salariés. On marche sur la tête !

L’indifférence des salariés vis-à-vis de leurs élus

De nombreux représentants du personnel, pour justifier leur démobilisation, dénoncent l’indifférence des salariés vis-à-vis d’eux. Ils expliquent que les salariés ne les soutiennent pas. Dans les faits, il est vrai qu’un nombre toujours plus croissant de salariés se détournent de leurs représentants du personnel.

Question

Mais à bien considérer les choses, les élus recherchent-ils réellement leur adhésion ?

Obtenir le soutien des salariés, cela s’entretient. Les élus doivent expliquer ce qu’ils font chaque mois. Les salariés ont soif de comprendre le rôle de leurs élus. Ils l’expriment à de maintes occasions. Un salarié doit être vu comme un consommateur social. Aussi, il faut s’attendre à ce qu’il réclame des comptes. En quoi l’action de ses représentants du personnel lui profite au quotidien ? Cette question semble légitime. Elle reste malgré tout trop souvent sans réponse. Au fil des ans, le lien indéfectible entre les salariés et leurs élus se rompt.

Cela défavorise tout le monde et met en péril les liens sociaux au sein de l’entreprise.

L’individualisme, le cancer de la collégialité

Avec le temps (on dirait une chanson de Ferré), les bonnes habitudes se perdent. Et avec elles, celles qui placent en plus haute estime, le faire « ensemble ». Les représentants du personnel sont de plus en plus nombrilistes. Tout le monde s’accorde sur le fait qu’il est complexe de travailler en équipe. Alors, plutôt que de s’y essayer, chacun dans son coin fait comme bon lui semble. Les élus se fuient… Mais que ne comprennent-ils pas dans le mot « comité » ? Cela devrait éveiller chez eux, l’envie de travailler les uns avec les uns et non les uns contre les autres (hommage à Maurane). L’équipe est toujours plus forte que des individus dispersés et isolés.

Les salariés attendent de leurs élus qu’ils travaillent au succès de leur comité social et économique.

Il faut cesser de penser « personnel » et s’efforcer à travailler en toute collégialité. À plusieurs, les élus sont plus forts. En étant soudés et déterminés, ils obtiennent de bien meilleurs résultats. Je le dis souvent, il faut préférer l’unité et la concorde et délaisser les divisions et les querelles de comptoir. L’individualisme s’exprime trop visiblement de nos jours, en êtes-vous conscients ? Les « moi je » doivent faire place à des « nous envisageons ».

En conclusion, que penser de la démobilisation des élus ?

Les élus qui ne prennent pas le temps de s’affairer à leurs missions manquent à leurs devoirs. Lorsqu’ils ne préparent pas les réunions et/ou ne s’y rendent plus, en quoi cela sert-il les intérêts des salariés ? Tout au plus, cela participe aux ragots. Les salariés qui ne voient rien venir ni changer fantasment. Ils imaginent les privilèges dont profitent les planqués (élus). Les salariés croient que les élus cherchent uniquement à se protéger. Ils profitent de leur statut pour obtenir des gages de la part de l’employeur. Pour démentir, nous devrions au moins dire la vérité à ces salariés tourmentés.

Leurs élus ne font rien ou si peu par peur de :

– contrarier l’employeur
– d’être discriminé, pointé du doigt
– subir des pressions ou du harcèlement
– perdre en avancement, d’être placardisé
– voir sa charge de travail augmenter
– perdre en salaire avec le temps (plus d’augmentation)

Et le pire dans tout cela, c’est que ça fonctionne.

Alors que nous réserve l’avenir ?

Auteur de l'article: Fabrice Allegoet

Fabrice ALLEGOET est un formateur confirmé et certifié en droit social qui s'est spécialisé dans différentes matières (santé et sécurité au travail, RSE et développement durable, management et communication en entreprise). Il est l'animateur des Podcasts "Le CSE En Clair" et "Le Droit de Savoir by CÉOS".