Primes ; de l’usage au contrat de travail

Par Isabelle Vidal-LeonLe 22 juillet 2015

Dans de nombreuses entreprises françaises, la prime est un moyen très courtisé des employeurs pour encourager le travail et rémunérer au mérite les salariés.

Il y a ainsi une kyrielle de primes de nature à conjuguer performance et salaire attractif. La prime d’assiduité, la prime d’objectifs, la prime de rendement sont un échantillon de toutes ces primes qui visent à renforcer la productivité des salariés tout en leur assurant un meilleur revenu.

Souvent ajoutée à des salaires fixes assez faibles, ces primes sont une façon de conduire les salariés à travailler de plus en plus et de mieux en mieux. La prime peut être rattachée au contrat de travail du salarié (prime individuelle) et donc être différenciée selon la nature et la complexité de la tâche à accomplir. Elle peut aussi relever d’un accord collectif du travail et concerner tous les salariés de l’entreprise ou plusieurs salariés d’un même service (prime d’équipe, prime de transport, prime de congés payés, prime de 13ème mois…). L’employeur a aussi la possibilité de verser une prime exceptionnelle lorsqu’il souhaite par exemple souligner la qualité inaccoutumée du travail d’un salarié en particulier.

Cadre légal de la prime (contrat, usage, accord d’entreprise…)

1/ La prime née de l’usage au sein de l’entreprise

Il est assez fréquent de ne pas savoir précisément de quel cadre juridique relève la prime qu’un salarié perçoit à diverses reprises. Aussi, lorsque celle-ci n’est plus versée ou lorsque son montant diminue drastiquement, il peut être délicat d’en comprendre les raisons ou les mécanismes de calcul. Il est essentiel de vous interroger dans ce cas, sur la provenance (origine) de cette prime et sur ce qui a formé sa mise en place au sein de l’entreprise.

À maintes reprises, les employeurs par voie de fait créé (parfois sans le désirer nécessairement) un usage rattaché au versement d’une prime. Par exemple, verser une prime de fin d’année à tous les salariés alors même que cela n’est pas obligatoire et en l’absence d’un accord d’entreprise ou d’une incitation conventionnelle, cela peut engendrer un usage.

Toutefois, pour que l’usage soit réellement constitué, faut-il vérifier si les critères principalement jurisprudentiels en la matière sont réunis. En effet, un usage ne se présume pas et il ne se décrète pas davantage. Il est donc important de mesurer le réel engagement de l’employeur afin de déterminer si celui-ci peut s’analyser comme étant constitutif d’un usage au sein de l’entreprise.

L’usage repose sur l’observation de trois phénomènes concomitants : constance, généralité et fixité. Lorsque ceux-ci sont à l’origine du versement d’une prime, alors, on parle bien d’un usage.

La constance implique que la prime a été versée régulièrement soit à plusieurs reprises durant l’année ou soit chaque année depuis une période longue, au moins 3 ans par exemple (Cass. soc. 3 oct. 1991, n° 89-41.759). En effet, la répétition du versement démontrera qu’il ne s’agit pas d’une prime exceptionnelle, occasionnant un vrai complément de salaire sur lequel, les salariés peuvent compter pour apprécier le niveau de leur rémunération (mensuelle ou annuelle).

La notion de généralité suppose que tous les salariés sont concernés ou à tout le moins, plusieurs salariés en raison de leur catégorie sociale ou de leur appartenance au même service (Cass. soc. 22 févr. 2006, n° 04-43.542). Il convient de souligner que de fait, un usage entraîne obligatoirement une reconnaissance collective et non individuelle qui elle renverrait davantage à une valeur contractuelle (issue du contrat de travail).

Enfin, il doit être établi pour qualifier l’usage, sa fixité. Cela induit que le calcul dans notre exemple, de la prime ne doit pas relever du hasard (calcul aléatoire) mais d’une pratique réfléchie et sciemment orchestrée. En d’autres termes, si le montant de la prime peut varier d’une année sur l’autre en raison notamment d’objectifs variables, son mode de calcul doit rester le même (Cass. soc. 6 mars 2007, n° 05-41.342).

2/ Un accord collectif ou une convention oblige le versement d’une prime

Une prime peut également résulter de stipulations fixées par un accord d’entreprise ou par une convention collective. Dans ces deux cas, elle a une portée juridique bien déterminée (avantage individuel acquis) et l’employeur est tenu de la verser aux salariés visés par les formalités afférentes. Il ne s’agit donc ici, plus d’un usage mais bien d’un droit ouvert à tous et dont personne ne doit ignorer les conditions d’attribution de cette prime.

Les primes concernées en général par un accord d’entreprise portent sur l’efficacité professionnelle et l’exécution du travail (rendement, assiduité) ou des sujétions particulières (astreinte, mobilité, danger). Les conventions collectives peuvent prévoir des primes ayant un lien avec le contrat de travail (ancienneté), la période estivale (congés payés) ou encore la restauration collective (prime panier).

La dénonciation d’un accord d’entreprise prévoyant une prime qui procurait au salarié concerné une rémunération accessoire (un droit dont il bénéficiait à titre personnel), ne devrait pas entraîner sauf cas particuliers, une perte de l’avantage individuel acquis ; ainsi, les salariés conserveront le bénéfice de la prime formant le niveau et la structure de leur rémunération, au jour de l’expiration du délai de survie de l’accord dénoncé ou mis en cause (Cass. soc. 1er juillet 2008, nos 06-44437).

3/ Le contrat de travail prévoit l’octroi d’une prime au salarié

L’employeur doit verser l’intégralité de la rémunération telle qu’elle est fixée en accord avec le salarié et résultant du contrat de travail ; il en est ainsi dès la stipulation du versement d’une prime dans la lettre d’embauche (qui précède en principe la fourniture du contrat de travail). Dès lors, qu’une prime a été mentionnée tant dans la promesse d’embauche que dans le contrat de travail, l’employeur doit la verser (Cass. soc. 19 septembre 2013, n° 12-20852).

Il est important de rappeler que la suppression d’une prime peu importe sa nature, prévue dans le contrat de travail du salarié, constitue une modification du contrat de travail qui nécessite au préalable son accord (Cass. soc. 1er février 2012, n° 10-17394).

Risques pour le salarié de refuser la modification d’une prime

L’employeur peut souhaiter apporter une modification quant à l’octroi d’une prime instituée par voie contractuelle. Une telle demande peut survenir d’une cause économique dans le cadre d’un plan de restrictions budgétaires par exemple ou d’un autre motif souvent disciplinaire. Dans tous les cas, l’employeur doit laisser au moins 15 jours de réflexion au salarié lorsque le motif n’est pas d’origine économique (circ. DRT 93-20 du 30 juillet 1993) ; le cas échéant, le délai est porté à 1 mois pour formuler une réponse définitive (article L1222-6 du code du travail).

Lorsque le salarié refuse une telle modification, soit l’employeur maintient les conditions antérieures de la prime, soit il tire les conséquences de ce refus notamment lorsqu’elle résultait d’une nécessité économique.

Notons en revanche, que le seul refus du salarié d’accepter la modification ne constitue pas, en soi, une cause réelle et sérieuse de licenciement (Cass. soc. 28 janvier 2005, n° 03-40639).

Auteur de l'article: Isabelle Vidal-Leon

Juriste en droit privé et droit social, Isabelle exerce en indépendante depuis quelques années le métier de conseil aux entreprises et de formatrice en droit social. Elle travaille également depuis quelques années comme consultante auprès des particuliers pour le traitement de litiges divers liés au travail.