La consultation du CE est en déclin

Par Fabrice AllegoetLe 29 octobre 2015

Je ne souhaite pas être alarmiste mais il devient urgent d’éteindre les incendies causés par les élus qui ne croient plus en la vertu de mener une réelle consultation du comité d’entreprise. Selon certains comités d’entreprise, l’employeur est systématiquement sourd à toute discussion alors qu’en principe, une vraie consultation commence par un débat. Pour d’autres, l’employeur a déjà pris sa décision au moment où intervient la consultation ; l’avis demandé est donc inutile. L’employeur le recueille pour s’épargner d’éventuelles retours de flammes liés au délit d’entrave qu’une telle attitude engendre.

Bref, les élus n’y croient plus pour une grande majorité. La consultation du CE devient purement formaliste, une forme de contrainte administrative que l’on consigne dans le procès-verbal de réunion.

La consultation du CE n’est pas organisée correctement

L’employeur souhaite aborder un sujet important pour l’entreprise et son fonctionnement ; le comité d’entreprise comprend rapidement qu’il ne s’agira pas d’une simple information économique mais d’une véritable consultation. À ce stade, point de péril en la demeure. Le hic apparaît lorsque durant le débat, le comité d’entreprise comprend que le projet de l’employeur pour lequel, il est consulté, n’est déjà plus amendable. Autrement dit, même déplacer une virgule du projet s’avère impossible aux dires de l’employeur !

Il va de soi que le comité d’entreprise n’est plus en mesure d’honorer la consultation ; celle-ci intervient effectivement tardivement. En découle donc, une atteinte à l’obligation première de l’employeur : la consultation du comité d’entreprise doit être ouverte préalablement avant toute prise de décision même partielle (article L2323-2 du code du travail).

1/ Que faire en cas de consultation tardive de l’employeur ?

Il faut commencer par se plaindre auprès de l’intéressé ! Il n’est pas question de passer sous silence cet acte constitutif d’un délit d’entrave au fonctionnement régulier du CE. L’employeur doit s’expliquer sur son comportement et à tout le moins, entendre le mécontentement certain des élus du CE.

Le fait de le signaler avec une certaine véhémence marquera son esprit (c’est à espérer) et n’oublions pas que cette partie du débat, sera fidèlement retranscrite dans le procès-verbal de la réunion du comité d’entreprise. Le PV du CE sert notamment à prouver les dires des élus et de l’employeur agissant en qualité de Président (Cass. Soc. 26 mai 2010, n° 08-43372).

Le PV du CE peut ensuite être communiqué à l’inspecteur du travail afin que ce dernier soit averti voire alerté sur ce trouble manifestement illicite qui aboutit à confisquer au CE, le droit d’être consulté et donc de représenter les intérêts des salariés avec la bienveillance attendue. Il s’agit d’un droit réservé au comité d’entreprise dont il peut faire usage à tout moment (article L2325-19 du code du travail).

Il appartiendra à l’inspecteur du travail de mettre en demeure l’employeur de mener les consultations du comité d’entreprise dans le respect de la loi.

Dans tous les cas, le CE peut exiger de l’employeur qu’il suspende l’exécution de son projet (si l’état d’avancement le permet) et d’organiser rapidement (réunion extraordinaire) une consultation en bonne et due forme.

S’il s’agit d’une énième récidive du genre, le comité d’entreprise peut passer à la vitesse supérieure en saisissant le Tribunal de Grande Instance (TGI) afin que le juge statue sur ces entraves répétées qui ont pour incidence principale d’empêcher le comité de jouir pleinement de ses facultés représentatives du personnel, ce qui est inacceptable et non négociable. La saisine du TGI peut être faite en référé ; le juge en finalité peut ordonner la suspension du projet et contraindre l’employeur à consulter le comité d’entreprise (Cass. Soc. 6 mars 2012, n° 10-30815).

Si la suspension du projet ne peut se faire, le juge est en capacité d’exiger de l’employeur qu’il revienne en arrière en annulant les effets de sa décision dans l’attente que l’employeur consulte le comité de façon régulière (Cass. Soc., 25 juin 2002, n° 00-20939).

2/ Et si le CE ne veut pas agir en justice ?

Face à un défaut de consultation régulière du CE, si ce dernier exclut d’office toute action en justice, il est probable que l’employeur récidive. Le message envoyé par le comité d’entreprise sera en effet sans équivoque et laissera le champ libre à l’employeur.

Agir en justice doit être envisageable à chaque infraction de l’employeur ; il s’agit d’un droit même si la saisine demeure une faculté et non une obligation.

Le CE doit montrer à l’employeur qu’il est résolu à faire respecter l’obligation de consultation ; cela commence par illustrer une véritable détermination. L’employeur doit craindre cette éventuelle résolution du CE comme une épée de Damoclès au-dessus de sa tête afin de le faire réfléchir sur son attitude et à ses choix.

Le comité d’entreprise est in fine maître de son destin. Il est certes toujours préférable de ne pas saisir le TGI pour traiter le problème en interne ; sauf que parfois, c’est peine perdue. Face à un employeur irrespectueux des règles et des lois, agissant contre les intérêts tant du comité d’entreprise que des salariés et ayant comme obsession, de gouverner « seul » en pacha incontestable du navire, toute autre solution sera vaine.

Ne pas saisir le TGI alors qu’aucune autre solution n’est possible, c’est abandonner le navire et laisser les droits du comité d’entreprise partir doucement à la dérive.

C’est une mesure qui aboutira à la dilution progressive de l’autorité du CE. Le comité d’entreprise ne sera plus ni craint ni respecté ; les salariés perdront toute la confiance qu’ils peuvent avoir en leurs élus !

L’employeur n’est pas tenu de suivre l’avis du CE

Combien sont-ils, ces membres du comité d’entreprise à ne voir que le verre à moitié vide alors qu’ils pourraient davantage s’attarder sur le verre à moitié plein ? En d’autres mots, les élus prétextent la souveraineté de l’employeur de suivre ou non leur avis consultatif, pour justifier leur démission de la consultation du CE dixit « à quoi cela sert-il de rendre un avis ; l’employeur fera comme il veut à la fin ? » ! Pour sûr, démissionner avant de combattre, c’est moins fatiguant mais est-ce vraiment cela que les salariés attendent de leurs élus ?

Le manque de combativité des membres du comité d’entreprise traduit souvent une défection des élus pour leur CE.

La décision finale n’appartient pas au comité d’entreprise ; c’est un fait. Cela ne doit pour autant pas empêcher le CE par l’intermédiaire de ses membres d’être regardant quant au projet initial proposé par l’employeur. Les élus ont pour mission de soulever les questions qui s’imposent dans le débat en vue au besoin d’amender le projet de l’employeur et de lui soumettre de facto des propositions alternatives.

Soulignons qu’une fois l’avis du CE émis, l’employeur doit rendre compte de sa décision en la motivant (article L2323-3 du code du travail) à l’occasion d’une ultime réunion (ordinaire ou extraordinaire). Il appartient aux élus à cette occasion de questionner l’employeur sur ses motivations. Le PV doit faire ressortir les positions défendues par chacune des parties afin que les salariés puissent prendre acte du résultat final.

Ce qui est essentiel de facto pour les salariés, c’est de comprendre quels sont les enjeux qui se jouent tout en étant assurés que leurs représentants du personnel ont mis du cœur à l’ouvrage afin de les représenter même si dans bien des cas, l’employeur ne retiendra aucune des propositions du CE.

Si le comité d’entreprise en revanche jette l’éponge avant d’engager sérieusement les discussions ou si les élus ne sont plus convaincus de l’utilité même de la consultation du CE, peut-être est-il temps de se remettre en question ? 

Auteur de l'article: Fabrice Allegoet

Fabrice ALLEGOET est un formateur confirmé et certifié en droit social qui s'est spécialisé dans différentes matières (santé et sécurité au travail, RSE et développement durable, management et communication en entreprise). Il est l'animateur des Podcasts "Le CSE En Clair" et "Le Droit de Savoir by CÉOS".