Le transfert du budget de fonctionnement du CSE

Par Laurent AdriaensenLe 24 septembre 2018

Le transfert du budget de fonctionnement du CSE accapare les discussions d’un nombre important d’élus. Bizarrement, tout le monde s’accorde pour dire que cela est un bienfait législatif. Est-ce vraiment une bonne nouvelle ? Qu’est-ce qui se cache en réalité derrière cette réglementation ?

Avant de succomber, je vous invite à véritablement mesurer les risques d’une telle décision.

Le Code du travail prévoit bien ce mécanisme. Le comité social et économique (CSE) décide ainsi chaque année de l’affectation de ses reliquats budgétaires (décret 2017-1819 du 29 décembre 2017). Pour le cas qui nous intéresse, une résolution peut conduire au transfert du budget de fonctionnement vers le budget social. Je sais ce que vous pensez à ce stade de l’article ! Le CSE dispose d’un budget de fonctionnement jugé trop conséquent. Ce droit de le siphonner tombe donc à pic.

Les élus sont en effet nombreux à manifester un désintérêt pour le budget de fonctionnement.

J’entends encore raisonner les refrains habituels au détour d’un salon professionnel (CE, CSE). Le plus triste dans cette affaire, c’est d’observer dans le même temps une déprofessionnalisation grandissante des élus. Ne vous êtes-vous jamais demandé pourquoi de nombreux fournisseurs s’attaquent précisément à ce budget ? Tout simplement parce qu’il représente une manne financière très lucrative. Les élus se plaignent de posséder trop de budget, ces fournisseurs les aident à le dépenser. Rien de plus simple. Pourtant, ce budget revêt une importance indéniable. Il permet notamment aux représentants du personnel de se former.

Représenter les salariés exige de connaitre ses droits et ses obligations.

La légitimité d’un élu puise sa force dans ses compétences. Faut-il que ce dernier accepte de les développer. Le budget de fonctionnement s’utilise aussi pour les dépenses courantes. Il s’avère utile également pour financer sa communication. Aussi, le transfert du budget de fonctionnement même en partie est vivement déconseillé.

Le transfert du budget de fonctionnement est-il limité ?

Un peu plus haut, je vous ai dit qu’il ne s’agit pas d’un transfert total du budget de fonctionnement. J’ajoute que ce transfert ne s’opère par ailleurs qu’en fin d’année. En conséquence, le CSE clôture ses comptes comme à l’accoutumée, c’est-à-dire en distinguant bien les deux budgets. La séparation des budgets demeure la règle. Si le CSE constate un excédent (comprenez, un reliquat), alors il peut décider d’en disposer en opérant un transfert de celui-ci (article L2315-61 du Code du travail).

Conseil d'Expert

Cependant, transférer tout l’excédent du budget de fonctionnement en dépenses sociales ne serait pas raisonnable.

Attention, le CSE est placé dans l’impossibilité de transférer au profit du budget des activités sociales, une réserve budgétaire même inutilisée. Pour l’heure (et c’est bien dommage), il n’existe aucun plafonnement. L’excédent du budget des activités sociales et culturelles peut être transféré vers le budget de fonctionnement. Toutefois, on parle de 10% maximum de cet excédent. Contrairement à son homologue, ce budget social semble étrangement préservé (article R2312-51 du Code du travail).

Certains murmurent que ce plafonnement s’appliquera pareillement au budget de fonctionnement.

Pour l’heure, ce n’est pas le cas. Faut-il y voir un signe caché ? Le Code du travail indique bien l’observance de limites censées être fixées par décret. Nous ne pouvons que constater l’absence de publication de ce décret en septembre 2018. Bien que limité à son excédent annuel, le transfert du budget de fonctionnement constitue une proie facile.

Dangerosité du transfert du budget de fonctionnement

Lors du Salon de Lille de septembre 2018, de nombreux élus ont découvert le pot aux roses de cette mesure. Laissez-moi vous expliquer ce qui change en réalité. Avant de parler de transfert, intéressons-nous d’abord au calcul du budget. Depuis février 2018, pour obtenir le montant de son budget, il faut appliquer le pourcentage (0,2% au moins) au montant total de la DSN. Auparavant, il était question du compte 641. Ce changement ne bénéficie pas aux élus. Dans certains cas, cela implique une baisse sensible du budget versé. Aussi, sans s’attaquer directement au budget, le gouvernement tape dans le portefeuille des CSE. Ironiquement, le conférencier rassure les élus effrayés par l’idée d’avoir trop de budget (rires jaunes dans l’assemblée).

Le constat n’en demeure pas moins implacable. Le budget de fonctionnement connait une cure d’affaiblissement.

Les dépenses du fonctionnement augmentent

Comme une bonne nouvelle n’arrive jamais seule, notons la hausse des dépenses de fonctionnement. Pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler que les dépenses du CHSCT étaient supportées par l’employeur. Seulement, sa disparition signe inévitablement la fin de cette pratique légale. Le CSE absorbe les missions de santé, sécurité et conditions de travail, et avec elles, les dépenses afférentes. Ce transfert de charges ne fait pas beaucoup jaser au sein des entreprises. Cela semble ne poser aucun problème.

Mise en garde

Attendez, ce n’est pas tout, de nombreuses expertises ne seront plus financées à cent pour cent par l’employeur.

Pour exemple, la mission d’expertise rattachée au droit d’alerte économique. Au temps des CE (et pas des cerises), l’employeur réglait 100% de la facture. Désormais, le CSE devra participer à hauteur de 20%. Que se passe-t-il cependant si le CSE n’a pas les moyens de passer à la caisse ? La réponse dépend des pratiques de ce dernier. Il faut s’interroger sur le fait que le CSE ait pu ou non procéder au transfert du budget de fonctionnement.

L’employeur peut s’affranchir d’aider financièrement le CSE

Ce qui n’est pas suffisamment exposé, c’est justement le lien qu’opère la loi à ce sujet. Un CSE qui fait le choix de transférer une partie de son excédent de budget de fonctionnement prend un risque. Cette décision entraînera sans nul doute des conséquences. Ainsi, une insuffisance de budget peut conduire au renoncement d’une expertise.

Pourquoi ? Tout simplement, parce que l’employeur ne sera plus tenu d’aider le CSE en panne de budget.

La règle est sur ce point très claire. Tout transfert opéré dans les 3 ans précédant l’insuffisance constatée de budget éloigne l’employeur de cette obligation. De même, une telle aide lorsqu’elle est possible, prive le CSE de tout transfert durant 3 ans.

Question

Alors, convaincu de l’inutilité de ce transfert même partiel ?

J’espère que c’est le cas, à défaut, je ne comprendrai pas. Si je résume, voilà ce qu’il faut retenir.

Le calcul du budget devient défavorable au CSE (baisse légère ou importante à prévoir) ;
– Le CSE connait une hausse de ses dépenses à la suite de la disparition du CHSCT ;
– De nombreuses expertises appellent à une participation financière du CSE (20% de la facture) ;
– Un transfert de budget de fonctionnement désengage l’employeur de toute aide financière.

J’ajoute que l’arrivée du comité social et économique ne facilite pas la professionnalisation des élus. Comme je l’ai dit plus haut, une formation apparaît indispensable. S’adjoindre les services d’un avocat peut tout autant être salutaire. Plus que jamais, la surenchère des prérogatives qu’induit le CSE, doit éveiller les consciences. Les élus ne peuvent plus aborder leurs missions sans y être préparés.

Ne vous laissez pas perturber par les tentations

Le mot d’ordre est simple : « résistez » ! Il faut lutter contre la tentation de détourner le budget de fonctionnement pour servir des intérêts vénaux. La distribution à outrance de chèques cadeaux, de babioles à l’effigie du CSE, de cadeaux en tout genre n’a jamais qu’éloigné le CSE de sa mission sociale. La cohésion sociale et le climat social ne s’achètent pas. À l’inverse, cela s’entretient en misant sur des actions fédératrices, humaines et utiles pour le bien-être au travail. Le transfert du budget de fonctionnement n’est pas une si bonne idée au fond.

Les salariés méritent de compter sur des élus prêts à assumer leurs missions tout en étant proches de leurs préoccupations.

Auteur de l'article: Laurent Adriaensen

Laurent est un juriste d'entreprise en droit privé qui s'est spécialisé dans les questions qui traitent de la gestion immobilière et du droit du travail. Il a collaboré à la rédaction d'articles de veille juridique pour des agences immobilières et des entreprises avant de se fixer au sein d'un cabinet d'Avocats spécialisés dans ces domaines.