Modifier les conditions de travail
Le 17 septembre 2015Les salariés baignent parfois dans une certaine confusion lorsqu’il s’agit de distinguer ce qui relève du pouvoir de direction ou d’un accord exprès du salarié. Autrement dit, ce qui porte sur de simples modifications de conditions de travail qui ne nécessitent pas l’accord du salarié ou ce qui se traduit comme étant des modifications du contrat de travail impliquant pour le salarié de donner son accord.
C’est essentiel de disposer des bons réflexes à ce sujet afin d’une part que le salarié puisse faire jouer ses droits lorsque cela lui est nécessaire et d’autre part, pour que l’employeur n’abuse pas de la crédulité d’un salarié mal informé ou moins au fait sur ces sujets de droit.
Différencier la modification du contrat des conditions de travail
Les salariés s’interrogent régulièrement sur la portée juridique d’un simple changement de poste, de qualification, de service, de lieu de travail, de plages horaires … S’agit-il de changements courants de conditions de travail ? L’employeur peut-il se passer de mon accord ?
Nombreux sont ceux qui savent que toute atteinte à leur rémunération constitue une modification d’un élément essentiel du contrat de travail ; l’employeur ne peut donc pas l’imposer et le salarié doit pouvoir donner ou non son accord (Cass. soc. 2 nov. 2005, n° 03-44278).
Afin de faire le distinguo entre une modification du contrat des conditions de travail, il faut retenir ce qui suit. La difficulté réside en ce qu’il n’y a pas fondamentalement une définition légale des éléments considérés comme essentiels au contrat de travail. Pour autant, la jurisprudence a fixé des limites que l’employeur doit observer s’il veut échapper à toutes sanctions.
1/ La qualification du salarié
En principe, la qualification, le niveau de responsabilité et/ou la nature même de l’activité du salarié (Cass. soc. 25 sept. 2013, n° 12-17605), constituent des éléments essentiels du contrat de travail de même que le lieu et la durée du travail stipulés au contrat. Il faut pour autant apprécier la réelle nature des modifications pour déterminer s’il est question de changements de conditions de travail ou d’une atteinte portée au contenu du contrat de travail.
S’agissant de la qualification du salarié, cela n’est pas toujours évident. En effet, dans le cadre de son pouvoir de direction, l’employeur peut faire évoluer les tâches effectuées par le salarié sans son accord (Cass. soc. 29 nov. 2007, n° 06-43979).
Ainsi, il n’y a pas modification du contrat de travail lorsqu’il est demandé à un salarié dans le cadre d’une réorganisation de l’entreprise, de déléguer certaines tâches à ses collaborateurs afin de libérer davantage de temps au développement de nouveaux produits (Cass. soc. 30 avr. 2014, n° 13-13834). Il en ainsi également lorsque la tâche confiée à un salarié est différente de celle qu’il réalisait avant ou pour laquelle il avait été embauché, dès lors qu’elle est en phase avec sa qualification (Cass. soc. 5 nov. 2014, n° 13-18209).
2/ Le changement de service, d’affectation ou de poste
Un changement de poste qui n’altère en rien tant le niveau de rémunération, de qualification que le niveau hiérarchique du salarié est considéré comme une modification des conditions de travail (Cass. soc. 10 oct. 2000, n° 98-41358). L’employeur peut donc le faire sans recueillir l’accord du salarié visé.
Dans la même veine jurisprudentielle, a été jugé comme relevant d’un simple changement de conditions de travail, le fait d’affecter un salarié à un autre poste de travail lorsque celui-ci correspond à la même fiche descriptive que le poste occupé antérieurement ainsi qu’au même positionnement hiérarchique (Cass. soc. 25 juin 2014, n° 12-29519).
Dans ces deux cas, le salarié ne souffre d’aucune incidence majeure sur l’application de son contrat de travail.
3/ Le changement du lieu de travail
La mention du lieu de travail dans le contrat d’un salarié se résume à une information d’un point de vue juridique sauf si cette dernière renvoie à une disposition très précise marquant par exemple un lieu exclusif d’activité. Dans ce cas, il devient un élément essentiel du contrat de travail (Cass. soc. 26 oct. 2011, n° 09-71322). Là encore, ce sera souvent au juge d’apprécier ce qu’impliquerait le changement du lieu de travail pour le salarié tant d’un point de vue technique que juridique.
A été ainsi jugé qu’une mutation dans un secteur géographique analogue engendre un simple changement des conditions de travail lorsque le nouveau lieu de travail situé non loin de l’ancien site où exerçait le salarié, est lui-même desservi par des transports en commun (Cass. soc. 28 mai 2015, n° 14-13166).
Précisons qu’il n’existe pas une réelle définition pour encadrer la notion de « secteur géographique ». Les juges doivent donc analyser de façon objective, l’ensemble des paramètres concourant à ce changement afin de déterminer s’il s’agit d’une modification des conditions de travail ou du contrat de travail du salarié. Dans deux affaires distinctes, voici ce qui a été arrêté :
a) L’affectation du salarié qui travaillait sur le site de Muntzenheim vers celui d’Obersaasheim situé à seulement 18 kilomètres et 20 minutes de l’ancien lieu de travail, s’analyse comme un changement de conditions de travail (Cass. soc. 19 novembre 2014, n° 13-19304).
b) Dans une autre affaire, l’employeur a été condamné pour ne pas avoir tenu compte de plusieurs critères dont le changement de secteur géographique et le caractère particulièrement pénible de la route par temps froid rendant l’accès à la nouvelle affectation distante de 30 kms de l’ancien site, plus long et difficile (Cass. soc. 12 juin 2014, n° 13-15139).
Le changement de lieu de travail peut donc s’apprécier sous ces deux angles ; ce qu’il faut retenir, c’est qu’en la matière, l’employeur dispose toutefois d’une plus grande latitude que le salarié pour opérer une telle modification.
4/ Le changement de la durée ou des horaires de travail
Il peut s’avérer hasardeux de considérer que modifier tant la durée que les horaires de travail relève d’un simple changement des conditions de travail tout autant qu’il s’agirait d’une modification du contrat de travail ; en réalité, il est nécessaire d’apprécier des paramètres plus complexes et variés qui résultent là aussi souvent de la jurisprudence.
Aussi, si la durée du travail est inscrite dans le contrat de travail du salarié, sa modification emporte au préalable un accord du salarié (Cass. soc. 30 mars 2011, n° 09-70853). Toutefois, lorsque cette même durée est fixée par un accord collectif du travail, toute modification qui interviendrait n’oblige pas l’employeur à recueillir le consentement des salariés (article L1222-7 du code du travail).
L’employeur a la possibilité de modifier les horaires de travail dès lors que sa décision ne contrevient pas à des aspects contractuels ou discriminatoires. Au cours de deux décisions récentes, la Cour de cassation l’a ainsi rappelé.
a) Une répartition différente de l’horaire de travail au sein de la journée tandis que la durée du travail n’est pas affectée, alors l’accord du salarié n’est pas utile (Cass. soc. 28 mai 2015, n° 14-13166).
b) Un salarié a vu ses horaires initiaux fixés de 23 H à 9H30 répartis de 15H à 00H30. Ayant été constaté que ce dernier continuait à travailler partiellement de nuit, ce changement ne constitue pas une modification du contrat de salarié (Cass. soc. 25 mars 2015, n° 13-27980).
Pour conclure, dès lors que l’employeur souhaite modifier un élément propre au contrat de travail, il est peu probable qu’il puisse se passer de l’accord du salarié.
En revanche, si l’employeur décide de modifier par exemple le lieu de travail, la durée ou les horaires de travail, dans de nombreux cas, il ne sera pas obligé de lui demander son avis.
Tout cela s’apprécie à la vue du contexte, des conséquences pour le salarié notamment en ce qui le concerne directement comme son niveau de responsabilités ou de rémunération qui sont essentiels au contrat de travail.