Avoir du mépris pour les risques professionnels au travail, c’est dangereux et irresponsable

Par Fabrice AllegoetLe 1 février 2024
Avoir du mépris pour les risques professionnels au travail, c’est dangereux et irresponsable

Le monde du travail n’est pas sans risque. Est-on seulement obligé de faire comme si cela constituait une norme ? Henri Salvador chantait : « le travail, c’est la santé », paroles qui prêtent à sourire de nos jours à en juger par le nombre d’accidentés du travail. Et que penser de ces expressions éculées à l’image de : « c’est le métier qui rentre ». Imaginez seulement, vous venez de vous blesser et là, un collègue ironise : « qui ne risque rien n’a rien ». Dans son esprit, ne suggère-t-il pas des risques qu’ils font fatalement partie du travail ?

Combien de ces adages sont communément exprimés pour nier l’existence des risques professionnels et leurs conséquences au sein des entreprises ?

Le « monde des bisounours n’existe pas », cependant, il me plaît de penser que travailler ne rime pas infatigablement avec douleurs, blessures, mal-être. Je m’inscris en faux contre ces idées : les salariés pourraient ne pas avoir le choix, cela ferait partie « du jeu ». Il faut cesser de nourrir tout sentiment d’impuissance face aux risques professionnels et d’exonérer les responsables qui ne produisent pas les efforts indispensables pour proposer aux salariés, un cadre de travail protecteur et épanouissant.

Avoir mal à cause de son travail, ce n’est pas normal

Il est essentiel de le rappeler à tous les :

  • salariés ;
  • managers ;
  • et autres professionnels des ressources humaines.

Il n’y a guère d’héroïsme à « se tuer à la tâche ». Se donner « à corps perdu » pour son travail, n’est-ce pas là, le fond du problème ? À écouter de nombreux salariés, il « faut souffrir pour gagner sa vie », légitimant au passage le fait que travailler, c’est indubitablement éreintant. Et l’épanouissement professionnel, qu’en fait-on ? Est-ce finalement devenu une sorte de chimère, d’utopie ?

Normalisation de la souffrance au travail

Prévenir les risques professionnels et améliorer nos conditions de travail, voilà des actions à encourager. Au lieu de cela, certains préfèrent, s’accommoder des désagréments continuels émanant de leur situation de travail. Combien sont-ils à dire du stress qu’il est inévitable, et dans bien des cas, nécessaire et stimulant ? La faute à ces personnes qui professent et vantent les bienfaits du stress « positif ». Disons-le clairement : « stress positif », c’est un oxymore.

Lorsque le stress devient addictif, il n’en est que doublement dangereux et redoutable pour les personnes qui le subissent.

Et la charge mentale professionnelle, on en parle ? Souvent ignorée, elle n’est que peu évaluée au sein de nos entreprises. C’est certes évoqué, mais les employeurs s’en préoccupent-ils sérieusement ? Stress chronique, troubles cognitifs, charge mentale, ce cocktail de risques professionnels bien connu est responsable du surmenage. Et que fait-on pour lutter contre ces fléaux ? On minimise. Certains se persuadent qu’il s’agit du prix à payer pour atteindre leurs objectifs. D’autres se convainquent que « ça forge le caractère ». Ils intériorisent la souffrance au lieu de la combattre.

Avec le temps, combien sont-ils à venir travailler avec « la boule au ventre » dans leur entreprise ou « la mort dans l’âme » ?

Culte hypocrite voué à la QVCT, autre fléau à annihiler

Sans généraliser, je me dois de dénoncer tous ces pseudos accords destinés à encourager la qualité de vie au travail et les conditions de son exécution. En effet, je suis régulièrement témoin de paradoxes à ce sujet. D’un côté, il y aurait un désir ardent d’en finir avec le mal-être au travail et de l’autre, une absence de volonté de terrasser ce qui le génère.

Causes racines du mal-être au travail

Comment peut-on s’attaquer à un « mal » sans anéantir les causes racines de son existence ? Parmi ces causes, on peut notamment pointer :

  • l’insuffisance d’effectif ;
  • des objectifs excessifs ou irréalistes ;
  • la surcharge de travail ;
  • un climat de travail anxiogène ;
  • des situations de travail stressantes ;
  • une déshumanisation des rapports professionnels…

Pourtant, de nombreux accords se faisant l’éloge de la « QVCT » n’apportent pas ou très peu de réponses à ces problématiques courantes.

Lorsque ce serait pourtant le cas, on regrette l’absence d’éléments de mesure, d’indicateurs de performance et d’une commission de pilotage chargée de veiller à l’atteinte de ces objectifs. À la place, on se contentera d’une série de dispositions incantatoires. À y regarder de plus près, ces accords sont truffés de déclarations d’intention, qui se révèleront en pratique assez déceptives. La raison ? Une quête insatiable visant à baisser les coûts de production.

Ainsi, on :

  • limite les recrutements et les remplacements ;
  • mise sur la docilité et la serviabilité des salariés ;
  • augmente d’année en année les exigences de production ;
  • joue avec la pression tantôt temporelle, tantôt hiérarchique…

Et ceux qui en paient les frais : les salariés.

Ne parlons pas de QVCT, s’il n’est pas question d’investir concrètement ces problèmes à la source que nombre de salariés dénoncent.

La conscience professionnelle : vaste fumisterie

Pour expliquer la plupart des dérives, certains salariés brandissent l’excuse de la « conscience professionnelle ». Ce serait à cause d’elle qu’ils ne prennent pas soin d’eux remisant au placard, les pauses, leurs droits, leur morale. Ces bourreaux de travail, victimes sans toujours le conscientiser de workaholisme, se font violence pour soutenir le rythme de travail et répondre sans faiblir aux injonctions. Qu’en sera-t-il d’eux, lorsque trop éprouvés, ils seront sommés par leur médecin de « lever le pied » ? Parviendront-ils à se ménager avant d’être plus sévèrement impactés ? Pas si sûr. C’est sans doute le fameux « prix à payer », lorsqu’on se berce d’illusions et qu’on vêtît ce costume bien commode de la « conscience professionnelle ».

Si j’osais, je vous dirais que c’est « inutile de saupoudrer une bouse de sucre glace et de prétendre en trouvant des noyaux au fond qu’il s’agit d’un clafoutis ».

Être professionnel, c’est refuser de prendre des risques inutiles

N’en déplaise à certains, n’est pas professionnel qui veut. Pour le prétendre, il est indispensable d’être mesuré et honnête avec soi. Un professionnel, c’est l’inverse du kamikaze. Il sait bien l’importance pour voyager loin de ménager sa monture. Assurément, un professionnel cherchera à éviter les risques plutôt qu’à les considérer comme inévitables. Il sera obnubilé par la prévention des risques professionnels en n’en fera décemment pas une option. Le sens du devoir ne doit jamais se faire au mépris de sa propre santé, de sa sécurité, de sa vie.

J’ai coutume de dire qu’un marathonien n’aurait aucune chance de succès, si l’envie lui en prenait pour atteindre son but de courir à la vitesse d’un sprinteur.

Par conséquent, rappelons-nous ceci : pour disposer de toutes les chances de travailler 43 annuités sans difficulté, il faut accepter de se ménager en préférant sa santé avant tout. Un salarié en bonne santé n’en est que plus serein, motivé et productif. Peut-être est-il bien de le souligner à ce stade ?

La prévention des risques professionnels mérite bien plus que la seule existence de registres en tout genre

DUERP, Papripact, registre des accidents de travail bénins…, la seule présence de ces documents obligatoires ne constitue pas une garantie contre les risques professionnels. Certains employeurs se plaisent pourtant à le dire. Sans doute, le croient-ils fermement ? La prévention des risques professionnels exige, surtout, une démarche engageante et volontariste. Pour cela, faut-il écrire ses volontés et réfléchir dans la foulée à la manière d’y répondre efficacement. Je déplore fréquemment l’inexistence d’une véritable politique de prévention à l’occasion des formations que j’anime en entreprise. Si rien n’est écrit, rien n’est dit. Dans ces conditions, comment investir un tel sujet si l’employeur préfère taire les réalités et fuir ses obligations ? Mission impossible.

Si l’employeur ne nomme pas les causes de la souffrance au travail de ses salariés, il est vain d’en chercher le remède.

Aussi, toute prévention des risques professionnels débute par l’identification sérieuse des maux frappant les salariés. Puis, il faut de manière acharnée, éradiquer le mal à la racine pour assurer rapidement aux salariés, un cadre favorable à leur épanouissement.

Cela suppose plusieurs ingrédients :

  • un budget destiné à couvrir les frais engagés dans la prévention ;
  • une équipe à qui l’employeur confiera les rênes ;
  • un planning clairement objectivé pour tenir les engagements pris ;
  • un bilan permettant de souligner l’efficacité des mesures prises.

Ne dit-on pas aussi « mieux vaut prévenir que guérir » ? Pourquoi diable, cette citation ne figure-t-elle pas systématiquement en 1ère place des priorités pour les entreprises ? Pour rappel, la prévention coûte bien moins cher pour l’entreprise que la réparation. C’est largement prouvé.

Ne plus mépriser la santé des salariés, c’est faisable et profitable pour tout le monde

Doit-on rappeler l’obligation de sécurité de moyens renforcée qui pèse sur les entreprises ? Est-il encore nécessaire d’évoquer l’importance pour les élus du personnel de ne pas négliger leur mission en matière de santé et de sécurité au travail ? Me permettrais-je de souligner que chaque salarié est également dépositaire de sa propre condition ? Tout cela donne matière à réfléchir à tout ce qu’il conviendrait de réaliser pour épargner les salariés et l’entreprise des déboires qu’occasionnent les accidents de travail et les maladies professionnelles.

À l’arrivée, tout le monde y gagne. En effet, un environnement de travail viable, vivable n’en sera que plus durable.

Le remède au mal-être au travail est à portée d’efforts

Par quoi commencer ? Pour lancer une véritable campagne de prévention des risques professionnels, il faut déjà engager un audit interne pour connaître les difficultés du terrain. Vous consignerez le résultat de ce travail dans votre DUERP à partir duquel, un examen des causes sera engagé. Vous évaluerez ensuite les conséquences afin d’en tirer les enseignements utiles à la rédaction d’un plan d’action. Pour supporter la mise en œuvre des actions correctives, vous mettrez sur pied une équipe dotée des moyens sans lesquels, rien ne sera possible à l’instar des formations à la sécurité.

Vous impliquerez tous les acteurs internes à la prévention (salariés, élus du personnel, syndicats, responsable QHSE, RH, managers…).

Une à deux fois par, vous réaliserez un bilan de vos efforts pour en déduire l’efficacité et le cas échéant, vous améliorerez ce qui doit l’être. C’est à ce prix seulement que l’entreprise pourra se féliciter d’être réellement soucieuse des collaborateurs dont elle a la charge.

Auteur de l'article: Fabrice Allegoet

Fabrice ALLEGOET est un formateur confirmé et certifié en droit social qui s'est spécialisé dans différentes matières (santé et sécurité au travail, RSE et développement durable, management et communication en entreprise). Il est l'animateur des Podcasts "Le CSE En Clair" et "Le Droit de Savoir by CÉOS".