Les lanceurs d’alerte ont-ils un statut ?

Par Olivia RougeotLe 8 décembre 2016

« Signaler, traiter, protéger », ce sont les maîtres-mots du droit d’alerte selon une étude du Conseil d’État adoptée par l’assemblée plénière du conseil le 25 février 2016. Par cette devise, le Conseil d’État fait référence aux lanceurs d’alerte qui sont les bénéficiaires de ce droit, provenant plus généralement de la liberté d’expression. En tant que pseudos collaborateurs privés de la justice, ces derniers sont ceux qui, pour faire cesser une atteinte à l’intérêt général, font des signalements ou révèlent des informations aux autorités concernées.

Signalant des faits illégaux, les lanceurs d’alerte se mettent alors dans une position délicate ; c’est pourquoi une protection leur est accordée par la loi.   

Utilité des lanceurs d’alerte

Dans sa lutte pour la préservation de l’intérêt général, l’État ne peut tout contrôler. Ainsi il a, par l’instauration du droit d’alerte inviter les citoyens à participer à cet objectif, de sorte que ces derniers deviennent de vrais collaborateurs privés de la justice. Leur utilité est d’autant plus grande qu’ils sont souvent au cœur des atteintes et peuvent les signaler rapidement et, de fait, les faire cesser aussitôt. Ainsi, sous le couvert de la liberté d’expression, la reconnaissance des lanceurs d’alerte sert surtout et avant tout à collaborer avec l’État.

Si l’utilité des lanceurs d’alerte n’est aujourd’hui plus contestée, la loi n’a pour autant pas pris soin de les définir.

Absence de définition générale des lanceurs d’alerte

En France, si le lanceur d’alerte se distingue du délateur en ce qu’il n’a pas pour but de nuire, mais de faire établir un état de fait, aucune loi ne le définit généralement. En effet, la seule loi en donnant une définition se cantonne au cadre particulier des atteintes à la santé publique et de l’environnement (loi du 16 avril 2013 n°3013-316). Cela peut poser problème pour les justiciables qui ne peuvent donc pas savoir à quel moment ils sont dans leur droit d’alerte ou non. C’est pourquoi, si la loi n’a pas pris le soin de donner une définition générale des lanceurs d’alerte, elle a pu tout de même préciser à chacune de ses interventions dans quelle situation elle reconnaissait un tel droit d’alerte.

Situations concernées par le droit d’alerte

Le droit d’alerte trouve ses racines dans l’obligation mise à la charge des agents publics par le Code de Procédure pénale (article 40 du CPP) de signalement en cas de connaissance d’un crime ou d’un délit. Puis, la loi a pris soin de règlementer le droit d’alerte dans différentes situations d’atteinte à l’intérêt général, avant de le généraliser.

Chronologiquement l’instauration du droit d’alerte s’est donc opérée progressivement à travers cinq lois.

Tout d’abord, on retrouve un droit d’alerte dans le secteur privé en cas de connaissance de fait de corruption (loi du 13 novembre 2007 n°2007-1598) au sein de l’entreprise notamment (article L1161-1 du code du travail). Ensuite, la loi a reconnu un droit d’alerte dans tout secteur, en cas de connaissance de faits relatifs à la sécurité sanitaire (loi 29 décembre 2011 n°2011-2012). Également, la loi du 16 avril 2013 n°2013-316 a instauré un droit d’alerte dans tout secteur, en cas de risque grave pour la santé publique et l’environnement (articles L4133-1 et suivants du code du travail et L1351-1 du code de la santé publique).

Aussi, le législateur a prévu un droit d’alerte en cas de connaissance de conflits d’intérêts relatifs notamment aux membres du gouvernement (article 25 loi du 11 octobre 2013 n°2013-907).

Par ailleurs, le législateur a instauré un droit d’alerte pour tout secteur, en cas de connaissance d’un crime ou d’un délit. Enfin, avec la loi du 24 juin 2015 n° 2015-912 relative au renseignement, le législateur a institué un droit d’alerte dans le secteur de renseignement, pour tout agent de ce secteur ayant connaissance de fait portant atteinte aux règles légales établies dans ce domaine.

Conseil d'Expert

Ainsi, si vous vous trouvez dans une de ces 5 situations, il vous appartient un droit d’alerte afin d’informer les autorités compétentes de l’atteinte à l’intérêt général dont vous avez pu être témoin.

La procédure d’alerte

1/Quel est le contenu de l’alerte ?

Avant de donner l’alerte, « le lanceur » doit s’assurer qu’il a réuni tous les éléments probatoires factuels : témoignage, courrier… de manière à attester juridiquement de l’atteinte à l’intérêt général invoquée. Autrement dit, il faut que l’alerte soit établie c’est-à-dire que la menace est vraie ou qu’il y ait un doute raisonnable. De plus, l’alerte doit être préalable à d’éventuelles représailles envers le lanceur d’alerte : licenciement, discrimination, sanction… Ainsi, le salarié devra rapporter la preuve que le licenciement est en rapport avec la dénonciation des faits de harcèlement (Cass. Soc. 2 juillet 2014 n°13-19.990).

2/ À qui donner l’alerte ?

En fonction des situations, le signalement ou l’information ne doit pas se faire auprès de la même autorité. En principe, les lanceurs d’alerte peuvent donner l’alerte tant à l’employeur qu’aux autorités judiciaires ou administratives. En cas d’atteinte à la santé publique ou à l’environnement, dans le cadre de l’entreprise en revanche, la loi exige un signalement préalable à l’employeur et, en cas d’inaction de sa part, du représentant de l’État dans le département (articles L4133-1 et suivants du code du travail). En cas d’atteinte aux règles légales relatives au renseignement par ailleurs, l’alerte toi être spécialement donnée à la commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (article L861-3 du code de la sécurité intérieure).

3/ Comment donner l’alerte ?

Il est préférable de privilégier le signalement interne avant de passer par le signalement externe (presse) lorsque le choix est laissé au lanceur d’alerte. En effet, il est toujours plus judicieux de passer par la voie amiable prioritairement lorsque cela est possible. Pour cela, le code du travail offre la possibilité, si le salarié le souhaite de passer par l’intermédiaire du Comité d’Hygiène et de Sécurité au Travail (CHSCT) qui en tant que relai communicateur donnera directement l’alerte à l’employeur (article L4131-2 du code du travail).

La protection des lanceurs d’alerte

Afin que le droit d’alerte conserve toute son efficacité, encore faut-il doter le lanceur d’alerte d’une protection. En exerçant son droit d’alerte, le lanceur peut s’exposer en effet à des représailles de la part de son employeur, par exemple. Une protection légale doit donc lui être accordée afin que la crainte d’éventuelles représailles ne le freine pas dans l’exercice de son droit et dans sa collaboration avec la justice. Le législateur a donc accordé par la loi du 6 décembre 2013 précitée une première protection (mais partielle) contre le licenciement, pour les salariés ayant relaté des faits constitutifs de crime ou délit.

En effet, cette loi prône la nullité du licenciement fondé sur l’exercice du droit d’alerte puisqu’elle prévoit, dans ce cas, la réintégration automatique du salarié dans son emploi (article L1132-3-3 du code du travail).

Autrement dit, l’employeur ne peut donc licencier le lanceur d’alerte sur ce seul fondement. Sur ce point, la Cour de cassation a eu l’occasion, récemment de rendre un arrêt affirmant la nullité du licenciement basé sur l’exercice du droit d’alerte, en ce qu’il contrevient à la liberté fondamentale d’expression (Cass. Soc. 30 juin 2016 n°15-10.557). Le problème de cette protection est qu’elle est limitée, car cantonnée à un champ précis d’alerte : le signalement de crimes et délits. Dans les autres cas, comme les alertes relatives aux atteintes à la santé publique ou à l’environnement par exemple, aucune protection n’existe vraiment.

C’est pourquoi le projet de loi Sapin 2, actuellement en nouvelle lecture devant l’Assemblée nationale, propose une meilleure protection des lanceurs d’alerte.

Ce texte permet, en effet, la création d’un socle commun à tous les lanceurs d’alerte, quel que soit le champ dans lequel ils donnent l’alerte : corruption, commission d’un crime ou d’un délit, atteinte à la santé publique… Pour cela, la loi propose une définition (tant attendue) des lanceurs d’alerte, tout en créant un dispositif permettant de garder l’anonymat et encadrant la procédure d’alerte. Enfin et bien évidemment, elle interdit toutes représailles à l’encontre du lanceur d’alerte (discrimination, licenciement, refus de recrutement…). Le législateur semble donc favorable à une protection accrue du lanceur d’alerte tout comme l’Assemblée nationale. Le sénat néanmoins semble plus restrictif s’agissant de la protection, préférant prévenir d’éventuelles dérives de lanceurs d’alerte surprotégés abusant de leur droit…

Précision de l''auteur

Tout l’enjeu est donc de trouver, un équilibre entre protection et justice, compromis à priori difficile à trouver vu que le texte est renvoyé devant l’Assemblée nationale, en raison d’une absence d’entente trouvée par la commission mixte paritaire…

Auteur de l'article: Olivia Rougeot

Olivia est diplômée d'un master 2 pratiques pénales obtenu à l'université de Montpellier et titulaire du CRFPA. Actuellement, Olivia prépare un diplôme en droit de la santé pour diversifier son domaine de compétences. Elle intervient en parallèle en tant que rédactrice, une expertise acquise entre autre dans le cadre de ses multiples stages dont un au cœur d’un commissariat.