La surveillance des salariés

Par Fabrice AllegoetLe 4 juin 2015

Tout le monde connait, la fameuse citation « souriez, vous êtes filmé ». Ce serait drôle si cela se limitait à une blague ou à la sphère familiale et privée. En réalité, le contrôle de l’activité des salariés est devenu un phénomène en pleine expansion et qui peut participer à la dégradation des conditions de travail. En effet, lorsque l’entreprise s’efforce de surveiller de façon répétée, assidue et permanente, le travail de ses collaborateurs, elle ne lésine plus sur les moyens. Avec l’essor des nouvelles technologies, les facilités et possibilités en matière de contrôle sont larges et de moins en moins onéreuses.

L’ère de la badgeuse à l’entrée dans les locaux de l’établissement paraît bien archaïque aujourd’hui. Le progrès en matière de surveillance s’invite partout ; des mouchards dans le téléphone portable, des logiciels espions dans votre ordinateur de bureau, des balises GPS dans votre véhicule de fonction, des caméras dans l’entreprise…. L’employeur peut tout surveiller et contrôler même à distance, le travail et l’attitude des salariés.

Il y a des règles à respecter pour surveiller les salariés

Qu’on se le dise, surveiller les salariés, c’est une faculté offerte à l’employeur dans le cadre de son pouvoir de direction. Pourtant, l’employeur doit répondre à des obligations avant de pouvoir activer l’ensemble des systèmes de surveillance auxquels, il souhaite recourir.

Quelles que soient les ambitions de l’employeur, il ne peut pas par défaut restreindre les droits des salariés ou limiter leurs libertés individuelles et collectives sans que cela ne soit tant proportionnel par la nature de la tâche à accomplir et justifié par de réelles nécessités de service (article L1121-1 du code du travail). Tout système de surveillance des salariés doit obligatoirement répondre à ces deux conditions.

Le comité d’entreprise est préalablement consulté à la mise en œuvre de tous moyens technologiques destinés à contrôler l’activité des salariés dans l’entreprise, ses dépendances comme un site de production ou des véhicules professionnels (article L2323-32 du code du travail).

La consultation porte sur les motivations de l’employeur ; le comité doit en effet vérifier la nécessité d’un tel procédé et en déterminer les impacts tant pour les conditions de travail que pour le respect des libertés individuelles des salariés.

Il importe peu que le système collecte ou non des données à caractère personnel, le comité doit être consulté avant toute mise en œuvre de celui-ci (Cass. soc. 19 mars 2008, n° 06-42284). Les délégués du personnel sont aussi garants du respect des droits des salariés. S’ils constataient une atteinte à leurs libertés fondamentales, ils peuvent déclencher une alerte afin de faire constater et cesser le trouble (Cass. soc. 17 juin 2009, n° 08-40274).

Une fois, les instances représentatives du personnel consultées (le CHSCT peut aussi dans certains cas, être avisé), l’employeur doit informer l’ensemble des salariés visés par le contrôle, du dispositif qui va être mis en place (article L1222-4 du code du travail). À défaut d’avoir informé les salariés, l’employeur qui collecterait des informations sur ces derniers de façon clandestine, ne pourra pas les exploiter pour en constituer des preuves (Cass. soc. 4 juillet 2012, n° 11-30266).

Quels sont les moyens de contrôle qui existent ?

Il en existe un certain nombre. Intéressons-nous aux plus courants dont la plupart sont bien connus des salariés.

Le plus basique des contrôles, reste la surveillance humaine opérée par un supérieur hiérarchique, chargé de vérifier votre cadence de production et la qualité de votre travail. Toutefois, ce moyen de surveillance n’oblige pas l’employeur à prévenir le salarié car cela découle des principes génériques du management en entreprise (Cass. soc. 26 avril 2006, n° 04-43582). Il en est de même lorsqu’un service interne à l'entreprise (souvent le département RH) est chargé de surveiller l'activité d'un salarié durant le temps et sur le lieu de travail (Cass. soc. 5 novembre 2014, n° 13-18427).

– Pointage du personnel (badgeuse)

Certaines entreprises recourent à un système d’enregistrement des entrées et sorties du personnel dans l’établissement. Il s’agit souvent de points de contrôle installés à l’accueil de la société. Ces badgeuses peuvent avoir comme unique usage, d’assurer un repérage des personnes non autorisées et ainsi aider à renforcer la sécurité du site. Dans d’autres cas, ces badgeuses sont exploitées pour collecter des informations sur le temps de travail des salariés en capitalisant notamment l’heure à laquelle, ils embauchent et l’heure de leur départ du site de production. Notons que dans ce cas, lorsque le décompte du temps de travail est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être sûr et inviolable (article L3171-4 du code du travail).

– Géolocalisation des salariés

Très en vogue dans certains milieux professionnels comme le transport routier, les employeurs n’hésitent plus à recourir à ce moyen de contrôle qui permet de savoir en temps réel, la position géographique du salarié. Cette géolocalisation peut se faire via le tracking d’un téléphone mobile, d’un système de contrôle embarqué ou d’une balise intégrée au véhicule confié. Précisons, que l’employeur doit observer très précisément les conditions fixées par la CNIL pour faire usage d’un tel système de contrôle (Cass. soc. 3 novembre 2011, n° 10-18036). Par ailleurs, le recours à la géolocalisation pour surveiller le temps de travail du salarié, n’est conforme que lorsque l’employeur ne peut le faire par d’autres moyens et qu’il en rapporte la preuve ; c’est évidemment proscrit pour les salariés disposant d’une autonomie pour aménager leur temps de travail sur la journée  (Cass. soc. 17 décembre 2014, n° 13-23645).

– Vidéosurveillance des salariés

L’utilisation de caméras dans l’entreprise doit répondre à une nécessité notamment d’assurer la sécurité des bâtiments, du personnel et des autres personnes circulant dans l’établissement. Dans tous les cas, un tel moyen de contrôle ne peut pas avoir pour unique finalité une surveillance généralisée et permanente du personnel (délib. CNIL 2012-475 du 3 janvier 2013). Suivant la même logique, filmer invariablement les salariés dans ou aux abords immédiats des lieux de pause, des sanitaires ou des vestiaires ne peut être admis que si l’employeur a des justifications précises (délib. CNIL 2014-307 du 17 juillet 2014).

– Surveillance des outils informatiques

L’employeur peut accéder aux mails professionnels échangés entre le salarié et des tiers identifiés comme des collègues, des clients ou des fournisseurs. Par défaut, un email non identifié comme relevant du cadre privé du salarié (communication personnelle), peut être lu par l’employeur (Cass. soc. 26 juin 2012, n° 11-15310). Il faut donc faire attention à l’objet saisi et indiquer « privé » pour limiter l’accès à certaines correspondances. L’utilisation d’Internet pendant le temps de travail du salarié et à l’aide d’un ordinateur dédié à l’exécution de son travail, permet à l’employeur d’assurer un contrôle des connexions y compris en l’absence de l’intéressé (Cass. soc. 9 juillet 2008, n° 06-45800). Il faut donc faire attention dans l’usage que le salarié fait de son ordinateur professionnel.

L’employeur peut aussi prendre connaissance du contenu d’une clé USB connecté à un ordinateur de l’entreprise (et au réseau interne professionnel) ; une limite s’’impose toutefois pour les données identifiables comme étant « personnelles et confidentielles » (Cass. soc. 12 février 2013, n° 11-28649).

Dans tous les cas, l’employeur ne peut pas utiliser des moyens de contrôle des salariés pour faire pression sur ces derniers ou pour accéder à des données sans rapport avec l’activité professionnelle.

Auteur de l'article: Fabrice Allegoet

Fabrice ALLEGOET est un formateur confirmé et certifié en droit social qui s'est spécialisé dans différentes matières (santé et sécurité au travail, RSE et développement durable, management et communication en entreprise). Il est l'animateur des Podcasts "Le CSE En Clair" et "Le Droit de Savoir by CÉOS".