Discrimination à l’embauche, un casse-tête
Le 2 mars 2016Être recalé pour ne pas avoir la gueule de l’emploi, est-ce encore possible de nos jours ? Il semblerait que « oui » à en croire les statistiques communiquées par le Défenseur des Droits en février 2016 (9ème édition sur la perception des discriminations dans l’emploi). L’apparence physique joue énormément dans l’accès à l’emploi. Les postulants porteurs de tatouages criards, d’un piercing sur la langue ou d’une rangée de boucles d’oreilles… risquent la désillusion. Pis encore, les personnes en surpoids ou au physique peu avantageux peuvent subir le même sort. La tenue vestimentaire, la façon de parler, le lieu de vie, sa condition sociale, ses fréquentations… sont autant de critères subjectifs mais néanmoins ciblés par les recruteurs ou les chefs d’entreprise.
Candidater à un poste obligerait dans l’absolu de disposer de toutes les qualifications et de l’expérience requises, mais aussi d’adopter le véritable « physique de l’emploi » !
Les pratiques de la discrimination à l’embauche
Au rythme où vont les choses, les candidats à un poste devront demain, se soumettre à un véritable scanner et passer aux rayons « X » afin qu’il ne demeure plus aucun doute quant à leur employabilité. Blague mise à part, ils sont nombreux les français à s’interroger sur les pratiques liées au recrutement mais ils sont tout aussi peu à s’en plaindre réellement. En effet, il reste très difficile de détecter une discrimination à l’embauche malgré les limites clairement posées par la loi en la matière (article L1132-1 du code du travail). L’apparence physique ne devrait donc pas être un souci, mais cela est sans compter sur l’exigence toujours plus croissante des recruteurs.
Le surpoids, le handicap visible, la taille de la personne, son allure générale, voire l’odeur qu’il dégage sont autant de facteurs qui pèsent dans la décision de recruter le postulant ou de l’écarter.
N’oublions pas que subsistent encore des discriminations en raison de sa couleur de peau, de sa nationalité, de sa pratique religieuse ou encore de son orientation sexuelle. Une salariée d’origine maghrébine avait été ainsi été écartée par le recruteur sur ce seul critère (Cass. Soc. 18 janv. 2012, no 10-16.926). Il n’est de surcroît pas étonnant au demeurant que cette liste se rallonge au fil des ans. Les recruteurs le disent ; ils espèrent toujours trouver « la perle » ! Sans doute, veulent-ils préciser par « la perle », le candidat parfait ? Est-ce juste possible, ce candidat existerait-il ?
Prouver avoir été victime de discrimination à l’embauche
La difficulté est de taille pour un postulant déchu (et quelque peu déçu), de rapporter la preuve d’une possible discrimination à son encontre. Comment être « sûr » ? Disons-le, le seul fait que ce soit une autre personne qui ait obtenu le poste alors que tout semblait concourir au fait que celui-ci était taillé sur mesure, ne suffit pas à déterminer l’existence d’une réelle discrimination (Cass. Soc. 3 juillet 2012, n° 11-11.059).
Un employeur n’est par ailleurs pas obligé d’énoncer les raisons quant au rejet de la candidature d’untel ou d’untel ; tout au plus, si un candidat manifeste un vif intérêt à comprendre ce qui a manqué pour être éligible au poste, il peut espérer obtenir une explication (et encore !).
Le principe d’égalité des chances et d’égalité de traitement entre les hommes et les femmes, ne permettrait-il pas d’exiger une explication de la part d’un recruteur ? Non, répond en liminaire la Cour de justice de l’Union européenne qui rappelle que cela ne suffit pas à créer un droit d’accès à l’information quant aux conditions de recrutement d’un autre candidat. Elle souligne toutefois que le refus obstiné de toute explication par le recruteur peut constituer en soi, un début de preuve qui permettait de présumer de l’existence d’une discrimination (CJUE 19 avril 2012, affaire C-415/10).
Tous les employeurs ou recruteurs qui exigent des candidats une « lettre de motivation », en retour, ne motivent que très rarement leurs choix, sous couvert d’être effectivement débordés par le nombre de candidatures à traiter (rien de moins que cela).
Ne pas être embauché à cause d’un détail de son anatomie est souvent vécu comme l’injustice suprême. Les femmes enceintes, sont, elles aussi dans le viseur. Néanmoins, les concernant, la législation quant à la démonstration de la preuve est plus clémente (article L1225-3 du code du travail). En effet, il appartiendra à l’employeur de rapporter la preuve pour s’affranchir de toute discrimination à l’embauche de la postulante compte tenu de son état de grossesse ; le doute profitant à la plaignante (article L1144-1 du code du travail).
L’infamie de la discrimination à l’embauche peut naître de situations abjectes. Dans cette affaire, tout témoigne de l’aberration de certaines décisions. Un salarié employé en qualité d’intérimaire a souhaité obtenir un contrat à durée indéterminée (CDI), s’appuyant notamment sur l’absence de motifs valables pour l’entreprise de le maintenir dans une telle précarité contractuelle. La direction informée du handicap physique du salarié, lui refusa tout passage en CDI alors que dans le même temps, elle renouvelait son contrat de mission pour un motif opposable (CA Paris 9 septembre 2015 n° 13/03176).
Le recours au « testing » pour confondre les recruteurs
Né de la suspicion d’être écarté de l’emploi en raison de critères discriminants, le « testing » a vocation de démasquer les pratiques de discrimination à l’embauche. Depuis 2002, la Cour de Cassation reconnaît le « testing » comme un moyen de prouver sa bonne foi (Cass. Crim. 11 juin 2002, n° 01-85.559). Cette reconnaissance légale a été en outre consacrée dans le code pénal (article 225-3-1). Le testing dans le cadre d’une recherche d’emploi consiste à envoyer deux CV. L’un s’appuie sur des informations exactes tenant à la personne qui postule, l’autre est modifié de sorte à confondre le recruteur qui pratiquerait toute discrimination tenant au nom de famille, à l’âge, à la couleur de peau (en présence d’une photo), au lieu de résidence etc. En effet, les informations inhérentes à la qualification ou à l’expérience seront rigoureusement identiques sur les deux documents.
Si le CV modifié est retenu alors que dans le même temps, l’autre est écarté, alors la démonstration est supposée probante. Reste que la justice ne peut être rendue qu’à la lumière de preuves caractérisant une réelle infraction de cette nature ; autrement dit le testing doit être corroboré d’autres éléments de preuve (Cass. Crim. 4 févr. 2015, n° 14-90.048).
Le choix du recruteur doit reposer sur un motif objectif
C’est un fait, opérer une discrimination à l’embauche est un délit pénal (article 225-3 du code pénal). Aussi, pour s’en prémunir, un employeur doit être en mesure d’expliquer si nécessaire son choix. Celui-ci doit en effet porter sur des critères objectifs comme les qualifications du postulant, son expérience ou ses références. Ceci exclut donc toute appréciation tenant à l’âge, au sexe, à la situation de famille, ou aux convictions confessionnelles etc. De facto, une offre d’emploi ne peut contenir des précisions portant sur le type de candidat recherché comme être : un homme ou une femme, âgé d’au moins 25 ans, célibataire, sans enfant, ne présentant aucun handicap… (article L1142-1 du code du travail).
En cas de doute sérieux, le candidat à un emploi, peut saisir le Conseil de Prudhommes, compétent en la matière. Il appartiendra au plaignant d’apporter la preuve de ses allégations et à l’employeur de les contredire par des explications objectives ; le juge fondant une décision à la lumière de tous ces éléments (article L1134-1 du code du travail).
CV anonyme – l’arme contre la discrimination à l’embauche
Il y a deux écoles ; ceux qui plaident pour un curriculum vitae (CV) anonyme et ceux qui jugent la mesure de sparadrap mouillé. Notons au passage, que la loi dite « Rebsamen » (n° 2015-994 du 17 août 2015) a mis fin à l’obligation de recourir à ce mode de recrutement au sein des entreprises de cinquante salariés et plus ; disposition datée de 2006, jamais appliquée faute de la publication du décret.
C’est symptomatique de l’absence de convictions politiques entourant cette mesure de diversion. C’est ainsi que l’on peut désigner le principe du « CV anonyme » car une fois convoqué à l’entretien d’embauche, étape déterminante dans le cadre d’un recrutement, l’employeur peut sans le montrer, apprécier la personne en raison de critères indépendants à ses qualifications ou à son parcours professionnel. Il est difficile le temps d’un entretien de dissimuler un handicap physique ou sa couleur de peau, de cacher son sexe ou de modifier sa façon de parler à cause d’un accent prononcé. Son âge, sa corpulence, sa taille seront dévoilés au grand jour lors de l’entretien d’embauche. Quant à faire le lien entre une possible discrimination à l’embauche, il n’est pas dit que cela soit plus aisé grâce à l’usage en amont d’un « CV anonyme ».
Dans tous les cas, un recruteur ne doit pas exiger du postulant des informations qui ne seraient pas fondamentales pour apprécier sa candidature à un poste ; autrement dit, l’employeur doit se cantonner à des questions l’aidant à apprécier l’adéquation professionnelle du candidat avec les exigences de l’emploi proposé (article L1221-6 du code du travail) et il doit se refuser à toutes considérations particulières tenant à des critères subjectifs ou discrétionnaires.
En conclusion, si la loi et la jurisprudence concourent à protéger les personnes pouvant être discriminées en rappelant à juste titre, les limites qui s’imposent aux recruteurs à l’occasion d’une embauche, personne n’est dupe. Les discriminations à l’embauche sont récurrentes et touchent de plus en plus de postulants.
Cela participe en partie au découragement qu’accuse un nombre important de demandeurs d’emploi, convaincus qu’ils ne retrouveront pas un emploi de sitôt !