Dire non à son chef ou à son employeur

Par Fabrice AllegoetLe 25 février 2016

Quel salarié n’a jamais dit clairement « non » à son chef, son supérieur ou à son patron à quelques occasions durant l’année ? Dire non à son chef peut résulter d’une crise passagère nourrie par une mésentente tant sur le fond (quoi faire) que sur la forme (comment faire). Dès lors que deux personnes sont en désaccord sur le principe, il n’est pas rare que l’une d’entre elles, cherche à s’affranchir de l’exécution d’une tâche, d’une mission au regard de sa propre opinion sur le sujet incriminé. Le souci se matérialise différemment si cette personne est désignée comme le « subordonné » par rapport à l’autre, considéré comme le « chef », le donneur d’ordre.

Aussi, un salarié, peut-il dire non à son chef sans risquer une sanction disciplinaire ? Cela suffit-il en outre pour justifier un licenciement ? C’est ce que nous allons tenter d’éclaircir dans cet article avec à l’appui, des cas issus de la jurisprudence.

Oser dire non à son chef peut relever du bon sens

Il n’y a pas toujours dans l’attitude des salariés, une réelle volonté de s’opposer à leur chef, lui déniant au passage toute légitimité ou lui refusant toute autorité managériale. Certains salariés sont parfois tatillons sur la forme utilisée par un supérieur chargé de faire exécuter un ordre ; s’ils jugent l’approche abrupte ou agressive, ils peuvent se braquer et refuser toute coopération. Il s’agira ici d’un « non » défensif, aisément contournable, dès lors que le manager aura compris ce qui sème le trouble et comment y remédier. Dans ce cas précis, il s’agit juste pour le salarié de souligner l’importance pour lui que revêt la façon d’être piloté par son supérieur. N’oublions pas de rappeler qu’un salarié est tenu par l’exécution de bonne foi de son contrat de travail, ce qui implique d’éviter tout acte d’insubordination « gratuit » au demeurant (article L1222-1 du code du travail).

En effet, un salarié qui s’obstine à ne pas réaliser une tâche entrant dans ses obligations contractuelles, uniquement parce qu’il a décidé de ne pas donner suite à l’ordre qui lui est donné, risque tout bonnement le licenciement pour une cause réelle et sérieuse.

C’est en substance ce qui fut reproché à un salarié qui contestant régulièrement toute contrainte hiérarchique, s’échina par exemple à ne pas faire cuire des crèmes brûlées pour le service du midi (CA Paris 28 janvier 2016, n° 15/06089).

Savoir dire non à son chef prend alors tout son sens. Faut être en mesure de justifier un refus afin de ne pas être placé en mauvaise posture. Un « non » qui résulte d’une explication franche et habitée d’une réelle justification, sera difficilement sanctionnable. Ici, il s’agira pour le supérieur d’évaluer les raisons objectives qui conduit le salarié à refuser la mission demandée. Ce dernier peut à ce propos, démontrer qu’il n’est par exemple pas en situation de répondre à la dead-line imposée, qu’il est déjà surchargé et qu’il ne pourra pas se consacrer pleinement à cette nouvelle tâche… Le refus peut aussi reposer sur un problème de proportionnalité ; manque de moyens, de ressources ou l’objectif fixé est a priori démesuré et donc difficilement atteignable. Sanctionner un salarié qui refuse l’exécution d’un ordre donné sans intégrer les réelles motivations de ce dernier peut s’analyser comme un abus d’autorité (Cass. Soc. 31 mars 2010, n° 09-41.016).

Le « non » de trop, attestant d’une réelle insubordination

L’insubordination est le fait pour un salarié de refuser d’exécuter tout ordre donné par son supérieur hiérarchique. Le salarié passe son temps à contester les ordres, s’obstinant à ignorer les risques qu’il peut faire porter sur ses collègues ou au bon fonctionnement du service voire de l’entreprise. Devenu ingérable, le responsable n’aura d’autres choix que de prendre des mesures disciplinaires drastiques.

Le « non » de trop peut ainsi conduire à un blâme, une mise à pied disciplinaire, une rétrogradation ou à un licenciement souvent établi pour une faute grave. Il est de facto nécessaire de mesurer la manière de refuser une demande de son chef ou patron, au risque d’en payer le prix fort.

Le refus obstiné d’un salarié de répondre à une ou plusieurs injonctions de son employeur sera considéré comme un acte d’insubordination qui pourra être gravement sanctionné (Cass. Soc. 28 mai 2015, n°14-12.507). En revanche, pour justifier le licenciement pour faute grave, l’employeur devra démontrer que le salarié a délibérément opposé un refus de « faire » et donc qu’il s’est volontairement soustrait à ses obligations (Cass. Soc. 2 avril 2014, n°12-19.573).

Ces idées reçues qui poussent à dire « non »

Votre responsable exige de vous un travail impliquant un dépassement de vos horaires habituels et vous en informe le lundi pour le vendredi. Tout naturellement, recevant vos amis à dîner ce jour-là vous refusez, sûr de votre bon droit. Les heures supplémentaires sont réalisées selon vous, uniquement sur la base du volontariat. Première erreur ; en principe, le salarié ne peut se faire juge d’une telle demande et doit s’y soumettre dès lors qu’elle est légitime (Cass. Soc. 29 janvier 2003, n°01-41.006). Par légitime ou à bon droit, on entend, un employeur qui aura respecté un délai de prévenance suffisant, et qui sera par exemple, à jour du paiement d’heures supplémentaires déjà réalisées (Cass. Soc. 16 mai 2012, n° 11-14.268).

L’employeur n’a aucun droit de regard quant à ma tenue vestimentaire surtout lorsque le salarié n’est pas contraint de porter un uniforme règlementaire ou de sécurité. Ce n’est pas toujours exact et tout dépendra tant de la fonction du salarié que de ses conditions de travail et notamment s’il est amené à être au contact du public (clients, usagers). Par exemple, le port d’un bermuda peut être jugé incompatible avec une fonction d’agent technique (Cass. Soc. 28 mai 2003, n°02-40.273) de même que le port d’un survêtement peut être réprimé dès lors que le salarié doit accueillir des clients d’une agence immobilière (Cass. Soc. 12 novembre 2008, n°07-42.220).

C’est aussi ce qui caractérisa le jugement rendu à la lumière d’une médiatique affaire connue sous le nom de « affaire Baby-loup » marquée par de multiples rebondissements.

Le refus de s’abstenir à porter le voile islamique pour travailler a été considéré comme un acte d’insubordination justifiant le licenciement pour faute grave de la salariée (Cass. AP. 25 juin 2014, n°13-28.369).

Le non-respect réitéré des horaires de travail peut également conduire au licenciement (Cass. Soc. 15 novembre 2005, n°03-45.005). Dans cette affaire, un salarié prétextant une certaine autonomie dans son travail (convention de forfait en heures sur l’année), refusait tout respect de l’horaire déterminé par son employeur se réclamant d’un droit de fixer son horaire indépendamment de l’horaire collectif de l’entreprise (Cass. Soc. 2 juillet 2014, n°13-11.904).

Dire non à son chef pour une raison légitime

Les salariés ne sont pas ni des moutons de Panurge, ni des robots programmés pour dire « oui », ni des esclaves. La subordination n’ôte pas au salarié, le droit d’être omniscient et/ou critique à l’égard de consignes jugées déraisonnables ou illégales. Ainsi, un salarié peut dans certaines conditions « dire non à son chef », sans risquer une sanction. C’est le cas par exemple, lorsque la demande implique de méconnaître des dispositions légales (Cass. Soc. 13 juin 2012, n°11-12.875). Un salarié peut aussi refuser de réaliser une tâche qui n’est pas en lien tant avec son contrat de travail qu’avec ses compétences et donc qui ne correspond pas à sa qualification et à son expérience (Cass. Soc. 1er mars 2006, n°04-43.687) ; un « non » ferme et définitif dans ce cas précis ne peut pas être traduit comme résultant d’un acte d’insubordination.

En conclusion, il est important de ne pas « foncer tête baissée » à chaque ordre donné par un responsable de même qu’il n’est pas admissible qu’un salarié refuse obstinément de réaliser le travail pour lequel, il a été employé.

Dire non à son chef doit être justifié par des circonstances offrant au salarié tout légitimité. Dans le cas contraire, le « non » sera jugé comme fautif, exposant le salarié à une sanction disciplinaire et dans certains cas, à un licenciement pour faute grave.

Auteur de l'article: Fabrice Allegoet

Fabrice ALLEGOET est un formateur confirmé et certifié en droit social qui s'est spécialisé dans différentes matières (santé et sécurité au travail, RSE et développement durable, management et communication en entreprise). Il est l'animateur des Podcasts "Le CSE En Clair" et "Le Droit de Savoir by CÉOS".